ANTOINE DIT
« TONY » FERRET (1851-1923)
Son œuvre en Saône-et-Loire
Bien que l’essentiel de sa carrière ait concerné le
département de l’Ain, son œuvre en Saône-et-Loire n’est pas négligeable.
Originaire d’Azé, il a débuté dans l’atelier de l’architecte départemental et
diocésain André Berthier (1811-1873). Lié aux Perrusson-Desfontaines,
céramistes de la vallée de la
Dheune, ainsi qu’à d’autres personnalités du Charolais et de la Bresse bourguignonne, il
est l’auteur d’œuvres architecturales importantes, publiques ou privées.
L’HOMME :
ANTOINE FERRET, DU MÂCONNAIS À L’AIN
Antoine Ferret est né à Azé le
16 septembre 1851 dans un milieu d’artisans. Son père, Jean Ferret,
est maître-menuisier, et sa mère, Marie-Josèphe Fouilloux, est brodeuse. Le
fait que son père soit signalé comme « vérificateur de bâtiments » à
Mâcon peut s’entendre par le fait que des artisans se rendent fréquemment
adjudicataires de travaux dont ils se déchargent en sous-traitance ; ils
n’en sont pas moins en rapport avec les architectes.
Antoine suit des cours à
l’école municipale de dessin de Mâcon, dirigée par E. Chambellan, d’où il
sort nanti d’un certificat professionnel le 28 avril 1870. Mais
révolté par la défaite française face à la Prusse, le jeune homme s’engage volontairement
dans la 4e légion du Génie.
Le 2 janvier 1873, il épouse à
Montchanin une jeune fille d’origine lyonnaise, Pauline Verchère. La lecture de
l’acte de mariage nous apprend que les deux époux se reconnaissent parents de
deux filles, l’une prénommée Pauline, née à Lyon en 1870, l’autre Marie, née à
Montchanin en 1872 ; le couple aura encore un fils George qui deviendra
architecte. Quant à Antoine Ferret, il exerce la profession de
dessinateur ; on peut supposer qu’il travaille dans l’une des deux entreprises
de céramique du pays, Perrusson à Écuisses, Avril à Montchanin (celle-ci deviendra
la Grande Tuilerie
de Bourgogne en 1878) ; l’une et l’autre produisent des céramiques
décoratives dont la création fait appel à des dessinateurs pour créer les modèles
et illustrer les catalogues. Le nom de Ferret n’apparaissant pas dans les
registres du personnel de l’usine de Montchanin[1],
on doit supposer qu’il est employé chez Perrusson. Ainsi s’expliquerait les
liens qui vont unir l’artiste à cette famille, mais l’avenir le mettra aussi en
relation avec Charles Avril dans un autre domaine d’activité.
Antoine nourrit déjà d’autres ambitions
puisqu’on le retrouve ensuite apprenti dans l’atelier mâconnais d’André
Berthier, architecte départemental dont on connaît l’extraordinaire activité,
puis élève à Paris du célèbre architecte Charles-Jean Laisné (1819-1891), prix
de Rome, dont l’activité d’architecte diocésain l’amène à se charger, entre
autres missions, des restaurations de l’abbatiale de Tournus, de l’église
Notre-Dame à Dijon, du monastère de Brou à Bourg-en-Bresse. Entre 1879 et 1884,
Ferret multiplie les participations aux concours d’architecture à Beaune
(abattoirs), Morez (hôtel de ville et écoles), Le Creusot (groupes scolaires,
non réalisés). Après avoir refusé un poste d’architecte départemental dans la Drôme, il est reçu pour la
même fonction dans l’Ain, qu’il exercera de 1884 à 1919. Il cumulera cette
charge à celle d’architecte diocésain à partir de 1896 ; selon J.M. Leniaud,
il l’emporte sur de nombreux candidats recommandés par des hommes politiques
parce qu’il est le seul à être du département ; après 1905, les
architectes diocésains sont absorbés par le service des monuments historiques
où entre Ferret en 1908. À ces fonctions officielles, il ajoute celles de
membre du Comité des Bâtiments civils de l’Ain, président de la Société régionale des
architectes de l’Ain, du Jura et de la Saône-et-Loire.
Résidant à Bourg, dans une villa dont il a
lui-même dessiné le plan, et qui existe toujours sur la promenade du Bastion,
c’est aussi un citoyen impliqué dans la vie de la cité : homme cultivé et
sportif, on le trouve aussi bien membre associé de l’Académie de Mâcon que
président de la Société
de gymnastique mâconnaise « La
Gauloise », ou encore directeur aux sociétés de tir à
Mâcon et à Bourg, président d’une société philarmonique à Bourg où il est aussi
membre du comité de surveillance de l’asile d’aliénés. Il a peu écrit en
revanche, laissant dans les Annales de la Société d’Émulation de l’Ain un essai sur
Notre-Dame de Bourg, dont il a assuré la reconstruction partielle, ainsi qu’un
mémoire sur le célèbre monastère de Brou où il intervient également d’abord comme
inspecteur, puis architecte des édifices
diocésains. C’est aussi un artiste généreux qui n’hésite pas à renoncer à ses
honoraires quand il s’agit de servir des sociétés dont il est proche (kiosque à
musique et stand de tir à Bourg), ou d’élever des monuments commémoratifs, ceux
de Jérôme Lalande dans sa ville, ou de la Réunion de la Bresse à la France à
Villard-les-Dombes.
C’est dans sa propriété de Treffort, dans
le Revermont, où il a élevé un « castelet » sur les ruines du
château-fort, qu’Antoine ferret s’éteint le 18 novembre 1923 ;
il sera inhumé dans le caveau familial à Mâcon.
L’ŒUVRE :
TONY FERRET DANS L’AIN ET EN SAÔNE-ET-LOIRE
Avant de régner de façon quasi
hégémonique sur l’architecture départementale de l’Ain pendant plus de trente
ans, Tony Ferret connaît un début de carrière dispersé géographiquement. Pour la Saône-et-Loire, on
retiendra que son aire d’action se concentre essentiellement en Charolais et en
Bresse, particulièrement autour de Bourbon-Lancy et de Cuisery. Il semble que
son approche charolaise soit liée au projet de Charles Avril – concessionnaire
des houillères et fondateur de la tuilerie de Montchanin – dans le cadre de
l’exploitation d’une mine de charbon à Neuvy-Grandchamp. Selon Pierre Lahaye, historien
de cette commune, Ch. Avril avait fait dresser vers 1874 un vaste projet
de bâtiments, logements et écoles ; ce projet n’eut pas de suite, la mine
restant abandonnée de 1878 à 1916. Mais Auguste Daviot, ingénieur des mines à
l’époque de Ch. Avril, deviendra maire de la commune entre 1871 et 1896
(interruption de mandat de 1874 à 1878). Or c’est en 1879 que Tony Ferret
présente son projet d’école de filles pour Neuvy-Grandchamp ; il
interviendra aussi en 1884 dans la restauration de l’église, agrandie une
quinzaine d’années auparavant par l’architecte départemental Étienne Giroud.
La même année, alors qu’il réside à
Mâcon, il est aussi le maître d’œuvre de plusieurs édifices communaux dans
l’ouest du département : mairie-école de Vitry-sur-Loire, remarquable
édifice de briques, école de garçons à Digoin, actuel groupe Bartholi ;
alors qu’il est nommé dans l’Ain, il dresse encore pour Grury (1884) et pour
Saint-Agnan (1887) les projets et devis de leur mairie-école de garçons. L’année
même de sa nomination dans l’Ain, Tony Ferret signe les plans de l’église de
Joncy (1884), dont la reconstruction est au cœur d’une polémique entre la
municipalité et la fabrique ; un chantier qui durera quatre ans. Le curé
de Joncy, l’abbé Denojean, avait sollicité l’architecte mâconnais Adrien
Pinchard, autre élève d’André Berthier, qui connaissait donc son collègue[2].
Église de Joncy (1884)
Il est plus difficile de préciser les
circonstances qui ont amené Ferret sur la région de Cuisery et de Montret. On
lui doit ici les écoles de filles de La Frette (1880) et de Saint-Vincent-en-Bresse
(1890), construites l’une avant, l’autre après son installation à Bourg. Il
participe aussi aux travaux de restauration de l’église de Cuisery, où le
docteur Pallanchon, conseiller général (1865-1877), fait appel à lui pour
édifier son manoir personnel, dit Villa Célinie.
Il s’agit là d’une architecture monumentale, de style éclectique, qui
atteindra son paroxysme en 1895 avec la construction, pour le sénateur Goujon, dans
l’Ain, du château de la Tour
à Neuville-sur-Ain. Toujours à Cuisery, on doit à Ferret la reconstruction du
couvent de La Chaux,
ancien prieuré bénédictin, confié aux Prémontrés en 1860. On lui attribue la
conception de la chapelle de l’hôpital de Cuisery ; si c’est le cas, c’est
en temps que collaborateur d’André Berthier, architecte de cet établissement,
dont les étapes de construction s’étirent entre 1868 et 1895[3].
Aux environs de Cuisery, Ferret signe encore les plans de l’église de Brienne
(1886).
À l’évidence, le canton de Cuisery
constituait pour Tony Ferret le trait d’union entre l’Ain et son Mâconnais
natal. Cette dernière région recevra de lui l’imposante mairie-école de
Saint-Martin-belle-Roche (1889) qui est peut-être son chef-d’œuvre
d’architecture civile en Saône-et-Loire : ample composition ternaire avec
ailes en retour d’équerre, et dont la façade obéit à un art maîtrisé de la
symétrie et des proportions, ainsi que du jeu des lignes horizontales. À Mâcon,
Ferret serait aussi l’architecte de la fonderie de cuivre (établissements
Gardon, Seguin, puis Thévenin ([4]).
Mairie-école à Vitry-sur-Loire
Les travaux de Luc Dunias sur l’industrie
céramique des vallées de la
Dheune ont permis de préciser les liens de Ferret avec les
établissements Perrusson-Desfontaines à Écuisses. La collaboration
architecturale avec ces industriels remonterait au moins à 1878, à l’occasion
de l’Exposition universelle de Paris, pour laquelle Ferret avait conçu les
plans d’un pavillon en terre cuite. Il aurait peut-être aussi, dès cette
époque, dressé des projets d’ateliers pour l’entreprise. L’architecte récidive
pour l’Exposition de 1889 : en collaboration avec deux collaborateurs de
Perrusson, le sculpteur Manzoni, directeur artistique et le contremaître
Serviat, il imagine un pavillon coiffé d’un dôme, véritable catalogue des
productions de la maison ; cette création vaudra une médaille d’or à
l’entreprise et une médaille d’argent au maître d’œuvre. Quelques années plus
tard, en 1892, c’est naturellement à Ferret que l’on fait appel pour la
construction de la résidence patronale.
 Mairie-école de Saint-Martin-Belle-Roche (1889)
Il s’agit en fait d’une extension de la
demeure édifiée en 1869 par Perrusson ; elle est destinée à son gendre Desfontaines.
Construite à l’apogée de la céramique architecturale, « l’aile
Desfontaines », en retour sur la façade nord du corps principal, flanquée
d’un pavillon et d’une tourelle, permet à Tony Ferret de donner libre cours à
sa créativité. Située près de la gare, elle se présente comme un catalogue
monumental de l’éventail des produits de l’entreprise, offert aux voyageurs
empruntant la ligne de Dijon à Nevers ou Moulins. Aujourd’hui propriété de la Communauté urbaine Le
Creusot-Montceau, la villa Perrusson-Desfontaines a été restaurée ;
entourée d’un jardin d’agrément, elle est désormais ouverte au public depuis
2016.

La villa Perrusson, à Écuisses
Certes, l’essentiel de l’œuvre
architecturale de Ferret se situe dans le département de l’Ain qu’il a
constellé de mairies, d’écoles, d’églises et de monuments aux morts, mais aussi
d’ateliers, d’abattoirs, d’hospices. La ville de Bourg-en-Bresse lui doit une
large part de sa morphologie urbaine actuelle : théâtre, préfecture,
ancien hôtel des Postes, temple protestant, clocher de Notre-Dame, lycée de Filles
(Marcelle Pardé), maternité (collège de Brou), ancien bâtiment des Archives
départementales, etc. De sa villa du Bastion, Ferret pouvait contempler
l’immensité de la tâche accomplie. Encore faudrait-il ajouter ses réalisations
dans les départements voisins : résidences, ateliers ou bâtiments publics
dans le Jura (Lons, Morez, Saint-Claude), dans le Rhône (Beaujeu, Les
Ardillats) ; aucun catalogue raisonné exhaustif n’a pu être dressé à ce
jour (voir bibliographie).
En matière architecturale, arrive toujours
le moment où l’on croit devoir classer l’œuvre d’un artiste dans un courant, un
style, une école. Il y a évidence à rattacher l’architecture de Ferret à
l’éclectisme dont l’Opéra Garnier à Paris reste le monument emblématique, sujet
à polémique à l’époque de sa construction. Mais la tradition historiciste du
19e siècle n’est jamais loin, perceptible dans le style néo-renaissance de
Notre-Dame de Bourg, le néo-gothique débridé du château de Neuville-sur-Ain, le
néo-roman sensible dans l’église de Joncy, le néo-classicisme des frontons
scolaires, sans omettre une sensibilité aux prémisses de l’art nouveau à
Écuisses ou pour sa propre villa ; en fait, on ne saurait déceler la
moindre continuité de style. En partie contenu par la commande publique, qui
obéit toujours à des normes, le « style Ferret » se caractérise par
son exubérance, pas nécessairement provocante ni même innovante, dont la
signature distinctive est inscrite dans ses couronnements, toujours massifs,
ses dômes ou clochetons, en partie hérités de l’ère haussmannienne. La plupart
des édifices conçus par Tony Ferret vivent encore, preuve de leur
fonctionnalité qui fut peut-être, selon l’expression de P. Vigoureux, sa
véritable modernité.
Archives
départementales de Saône-et-Loire, série O : écoles, mairies pour les
communes citées.
Cattin Paul,
Répertoire des artistes et ouvriers d’art de l’Ain, archives départementales de
l’Ain, 2004. [Inventaire le plus complet des œuvres de Ferret]
Dunias Luc, Les
Perrusson-Desfontaines, industriels-céramistes et leur résidence d’Écuisses,
Écomusée du Creusot, 2004.
Lahaye Pierre, La
houillère de Grandchamp, Les Amis du Dardon, 2008.
Leniaud
Jean-Michel, Les cathédrales du XIXe siècle, Economica, 1993. [Histoire du
service des Édifices diocésains et répertoire de ses architectes]
Syndicat
d’initiative de Bourg-en-Bresse et Belley, Tony Ferret, architecte à
Bourg-en-Bresse, architecte départemental de l’Ain, 1923.
Vigoureux
Perrine, Les travaux de Tony Ferret à Bourg-en-Bresse, mémoire de maîtrise en histoire
de l’art, Paris X, juin 2002.
[1] Archives de l’Écomusée
du Creusot.
[2] Dandel E.
et Richard Y., Saint-Didier à Joncy. Histoire d’une église rurale, 2013.
[3] Ministère de la
Culture, base Mérimée : Cuisery.
[4] Leniaud, 1993,
notice sur Ferret, p. 690.
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