LA
CONSTRUCTION
DE L’ÉCOLE
DE FILLES D’ANOST :
Un projet
controversé de longue haleine (1893-1907)

INTRODUCTION
Le cadre légal et
administratif
Comme pour les progrès de
l’alphabétisation, l’Autunois-Morvan a marqué un certain
retard dans la construction scolaire au
19e siècle, notamment celle destinée aux filles.
Certes, la loi du 15 mars 1850 s’était voulue
incitative pour les communes comptant plus de
800 habitants, plancher ramené à
500 habitants par celle du
10 avril 1867. La loi du
28 mars 1882 ayant institué l’obligation
scolaire sans discrimination de sexe, le seuil de la
population n’était plus en
principe un critère : seule compte la
population scolaire, sachant que le nombre d’élèves par
classe sera limité à 50. Toutefois la loi du
30 octobre 1886 maintient le seuil de
500 habitants portant obligation de créer une école
spéciale de filles (article 11). Le décret du
18 janvier 1887 précise désormais la
disposition des locaux scolaires, et se substitue à tous
les règlements antérieurs : si l’effectif global
est inférieur à 50 élèves, la mixité est admise,
filles et garçons étant groupés toutefois séparément
dans la classe, sans cloison (article 25) ;
dans les autres cas, prévaut le principe des classes
spéciales aux garçons ou aux filles, soit dans des
bâtiments complètement distincts, soit dans des groupes
scolaires qu’on nommera « écoles géminées » au
20e siècle. La loi du
20 juin 1885 avait fixé le maximum de la
dépense pour chaque catégorie d’école, par exemple
28 000 F pour
une école comprenant une classe pour chaque sexe.
La population
scolaire
Il faut insister sur la population
scolaire, considérable, de l’époque : en 1884, la
commune d’Anost compte 3 609 habitants ;
à cette date, 353 garçons et 355 filles sont
en situation de fréquenter l’école gratuite et
obligatoire – c’est-à-dire âgés de 6 à 13 ans. Les
enfants scolarisés se répartissent entre l’école
publique laïque de garçons et l’école publique de
filles, à caractère congréganiste, auxquelles il faut
ajouter une école libre laïque payante qui accueillait
77 élèves en 1882.
Les bâtiments
scolaires
Contrairement à un procédé fréquent, la
commune d’Anost n’a jamais construit une nouvelle
mairie-école de garçons pour affecter l’ancienne à
l’école de filles : elle en était restée, pour les
garçons, au bâtiment approprié en 1868 par l’architecte
autunois Léger. Suite à l’extension de ce dernier au
moyen d’une longue aile scolaire (1892, architecte
Castagne), on s’était limité à l’installation de deux
classes de filles dans le bâtiment de 1868 :
70 élèves s’y entassaient dans des salles de 37 et
48 m2 ; deux autres salles avaient
été mises à la disposition de la commune dans des locaux
appartenant à la congrégation du Saint-Sacrement
d’Autun ; une dernière avait été établie dans une
maison louée à un particulier ; l’ensemble de ces
locaux était évidemment inadapté à sa fonction.
IMPOSSIBLE CHOIX
D’UN EMPLACEMENT ET PREMIER
PROJET
(1893-1897)
1893. Délibérations
initiales
La question de l’école de filles surgit
au détour d’une session du conseil municipal le
12 février 1893, au cours de laquelle le maire
Clément Sauron donne lecture d’un courrier rédigé par
le conseiller Louis-Jules Basdevant, d’ailleurs présent
à la séance, faisant état de l’illégalité dans laquelle
se trouve la commune au vu de la loi de 1886.
Immédiatement, le conseil décide unanimement le
principe de construction d’une école et nomme une
commission de cinq membres pour en déterminer
l’emplacement.
La session municipale du
16 avril 1893 fait apparaître la division
survenue au sujet de l’emplacement choisi :
10 conseillers et le maire optent en faveur d’un
terrain appartenant à L.J. Basdevant (absent à
cette séance du conseil), et situé en bordure du chemin
du bourg au hameau des Grelaudots ;
4 conseillers sont opposants. À l’unanimité, le
conseil charge l’architecte mâconnais Boiret de dresser
un projet. Informé du refus de vente par le
propriétaire du terrain désigné, le conseil délibère à
nouveau le 7 mai en faveur de l’acquisition par
voie d’expropriation par 11 voix contre 3. La
fin de l’année sera marquée par la délibération
municipale du 10 décembre 1893 confirmant
l’adoption du projet par un conseil très divisé
(10 voix pour, 8 voix contre) ; cette
décision concerne donc : 1° L’acquisition, par
voie d’expropriation, du terrain Basdevant au lieu-dit
Le Parc (section K, parcelle 78), d’une
contenance de 40,96 ares, estimée à
4 096 F et
approuvée par l’autorité académique qui doit légalement
agréer tout emplacement scolaire. 2° L’approbation
du projet présenté par l’architecte Boiret, s’élevant à
71 000 F, sous
réserve d’agrément par le Conseil des Bâtiments civils.
3° Le vote des centimes additionnels nécessaires à
l’acquisition et à la construction, tout en sollicitant
une aide de l’État.
1894. L’affrontement
L’année 1894 sera celle de l’affrontement
entre partisans et opposants de l’expropriation. Une
enquête publique est ouverte du 29 au
31 janvier : elle suscite une pétition de
250 signataires approuvant globalement le projet –
emplacement et construction – tandis que les opposants
au choix du terrain recueillent
195 signataires : la population se révèle donc
divisée à l’image de la municipalité.
Par courrier du 28 mars,
L.J. Basdevant présente au préfet les
inconvénients du choix municipal, notamment l’humidité
du sol : une source en limite ouest sert à
l’alimentation de la propriété Basdevant située en
contrebas et au sud-est. Le 23 avril suivant, le
sous-préfet invite le propriétaire à proposer d’autres
terrains à la commune, ce qu’accomplit ce dernier à
peine un mois plus tard (17 mai) : deux
emplacements sont soumis au choix, avec promesse de
vente : 1° L’un à la sortie nord, avec un bien
bâti (section K, parcelles 120-121).
2° L’autre à la sortie sud du bourg
(section K, parcelle 45).
Le 9 juin, l’inspecteur primaire
d’Autun est envoyé à Anost pour établir un rapport sur
ces emplacements. Le premier comprend un immeuble en
mauvais état qui pourrait néanmoins être approprié en
logement pour les institutrices, mais il est exposé aux
vents et surtout situé à moins de 100 m et en vue du
cimetière, ce qui est contraire aux règlements. Le second est certes mieux abrité des
vents, mais présente une trop forte déclivité. En
revanche, le terrain choisi par la municipalité semble
recueillir tous les avantages du point de vue de
l’inspecteur : bordé de sapins sur trois côtés, et
planté d’arbres fruitiers, il est un peu incliné, jugé
peu humide, éloigné du cimetière et des cabarets ;
la proximité d’un abattoir où le boucher tue « deux
porcs et deux têtes de bétail par semaine » ne
semble pas présenter d’inconvénient majeur ;
enfin, le fonctionnaire estime que la source qui
alimente la propriété Basdevant doit être conservée au
propriétaire, quitte à en déplacer la canalisation. Ce
rapport sera déterminant pour l’arrêté d’expropriation
que prendra au final l’administration
préfectorale.
1895. Le
terrain politique
Au sous-préfet qui s’inquiète de
l’absentéisme récurrent qui affecte le conseil
municipal, le maire explique que depuis le rejet des
deux terrains proposés, le « parti
Basdevant » estimé à 9 conseillers – qu’il
oppose à la « majorité républicaine » composée
de 12 conseillers – ne participe à aucune
délibération chaque fois que la question scolaire vient
à l’ordre du jour. Or le magistrat s’empresse de faire
observer que la construction d’une école de filles
entrait dans le programme de la municipalité élue en
1892 : «Le vote est parfaitement acquis. Nous en
avons la responsabilité dût une non-réélection en
résulter en 1896. » (Lettre du
27 janvier 1895).
Dans le courrier qu’il adresse au préfet
le 2 février suivant, le sous-préfet reprend
l’argument : « Il n’y a pas lieu de retarder
plus longtemps l’envoi du dossier, la prompte solution
de cette affaire étant énergiquement réclamée par les
Républicains d’Anost. » Quelques mois plus tard,
L.J. Basdevant invoque lui aussi la république –
dont il répète le nom à trois reprises en l’espace
d’une phrase – pour défendre son droit de
propriété : « Je crois, M. le Préfet, que
l’administration supérieure ne permettra pas cette
spoliation, mais si elle a lieu, les Républicains de la
commune d’Anost constateront que celui qui a soutenu
vigoureusement le gouvernement de la
République, qui a encouru une
révocation sous la période du 24 mai [1873],
qui a fait tous ses efforts pour faire triompher
la
République contre la réaction du
16 mai [1877], a été, au moment où celle-ci
est incontestée et triomphante, la victime de soudards
de l’Empire et des amis dévoués des anciens pourvoyeurs
des commissions mixtes. » (Lettre du
10 juillet 1895).
Fallait-il engager l’affaire sur ce
terrain politique ? Certes, Louis-Jules Basdevant,
parfait représentant de la bourgeoisie terrienne du
Morvan, a été maire sous le Second-Empire avant de se
rallier à la république. Le maire Clément Sauron, garde
général des forêts de la famille de Chastellux qui
possède dans le pays un vaste domaine forestier, est au
service de la vieille aristocratie foncière
légitimiste, ce qui ne l’empêche pas d’être
progressiste, notamment en matière d’instruction
publique. Par ailleurs les conflits forestiers
avec les habitants d’Anost se sont beaucoup apaisés
depuis que ces derniers ont obtenu des lots de bois en
pleine propriété contre l’abandon des anciens droits
d’usage. Certes encore, la « crise
boulangiste » des années 1888-1889 a avivé
les tensions entre républicains modérés et radicaux, et
les petits paysans indépendants, de loin les plus
nombreux dans le Haut-Morvan, se rallient plus
volontiers aux républicains les plus avancés, ceux que
l’on nomme « les Rouges ». Mais est-ce bien
de cela dont il s’agit dans l’affaire de l’école
d’Anost ? Il semble que l’on soit d’abord dans une
situation d’inimitiés personnelles. L.J. Basdevant,
dans la lettre précitée, n’hésite pas à dénoncer les
manœuvres du premier adjoint Lazare Dessertenne à qui
les sapins de la parcelle convoitée créerait une
nuisance visuelle et de l’ombre à son jardin, ou celle
encore de la sœur du maire qui ne serait plus astreinte
à des servitudes de voisinage si la vente avait
lieu : ragots ? mesquineries
villageoises ?
Le terrain appartenant à
L.J. Basdevant et préempté par la municipalité est
déclaré d’utilité publique par arrêté préfectoral du
16 avril 1895. Avant que l’expropriation soit
effective, il faut légalement procéder à une enquête
publique qui se déroulera en mai, renouvelée en juin
puis en novembre, suite à des contestations de
procédure.
1896. L’année
judiciaire
L’année 1896 sera celle de tous les
dangers pour le projet scolaire puisqu’elle cumule la
judiciarisation de l’affaire et l’échéance électorale
municipale. Un premier jugement du tribunal civil
d’Autun daté du 12 février 1896, s’appuyant
sur un vice de procédure lié à l’insertion de l’avis
d’enquête dans la presse, conclut : « Il n’y a
pas lieu à faire droit à la requête [de la commune] et
à prononcer l’expropriation. » Un second jugement du
même tribunal rendu le 24 novembre qui aboutit à
l’annulation pure et simple de la procédure, motive cet
avis du sous-préfet sur ce qu’il estime être un
parti-pris judiciaire : « Il est de notoriété
publique que l’un des juges, M. Protheau, passe
pour avoir déclaré qu’il trouverait toujours un motif
pour permettre au tribunal de ne pas faire droit à la
demande de la commune. » (Lettre au préfet,
4 décembre 1896).
ÉCHEC
DU DEUXIÈME PROJET
(1897-1904)
1897. Abandon de
l’expropriation et nouveau
projet
Comme l’avait pressenti le maire Sauron,
les élections de 1896 ont amené une nouvelle
municipalité dans laquelle l’ancien premier adjoint,
Lazare Dessertenne, est devenu maire ; Sauron et
Basdevant ne sont plus membres du conseil. La question
de l’appel du jugement, liée au renoncement de la
procédure d’expropriation, est soumise au vote secret
lors de la séance du conseil du
28 février 1897 : l’abandon obtient
12 voix, contre 2 voix favorables à l’appel et
2 votes blancs. Une commission de cinq membres est
désignée pour trouver un nouveau terrain. Il a aussi
fallu indemniser l’architecte Boiret en lui payant
1225,59 F d’honoraires pour le projet abandonné. En
attendant, on envisage d’installer les classes de
filles dans les salles libérées par la construction de
l’école d’Athez, également selon les plans et devis de
Boiret qui prépare simultanément un projet d’école à
Dront, deux programmes engagés par l’ancienne
municipalité.
Au cours de l’année 1897, les choses
n’avanceront guère pour l’école de filles du bourg qui
continue de diviser le conseil comme le constate le
sous-préfet : « Le conseil municipal est
presque dans l’impossibilité de voter avec un esprit de
suite un projet quelconque, étant donné l’état de
division et d’opposition où il se trouve. […] J’ai
assisté à une séance du conseil, elle a été orageuse,
et j’ai pu me convaincre de l’esprit d’obstruction qui
y règne. » (Lettre au préfet,
4 novembre 1897). On finit néanmoins par
trouver un terrain en contrebas du bourg et de la
propriété Basdevant, entre la route d’Autun (chemin de
Grande Communication n° 2) et un chemin
rural : une trentaine d’ares en forte déclivité
appartenant à M. René Saulnier qui consent à la
vente moyennant 2 300 F. L’enquête
publique du 20 février 1899 ne suscite aucune
déclaration pour ou contre le projet : la
population semble s’être lassée. L’architecte Boiret
est à nouveau sollicité pour dresser les plans et devis
de l’école ; ces derniers, datés du
12 avril 1899, présentent un projet avec deux
bâtiments séparés par une cour : le premier, conçu
pour trois classes, élevé sur un niveau de soubassement
qu’occupe un préau ouvert par une série
d’arcades ; le second, d’un seul niveau, affecté
aux logements et à une quatrième classe.

Premier projet
de l'architecte Boiret, bâtiment scolaire,
10 avril 1899.
[
ADSL 0 41]
1990-1901. Approbations, adjudication,
résiliation
Le projet est soumis le
5 novembre 1900 au Comité des Bâtiments
scolaires, qui préconise la suppression du niveau
de soubassement avec préau. Boiret présente un projet
complètement remanié – avec un seul bâtiment plus
important et un préau distinct – dont le devis définitif
s’élève à 59 228,42 F
(10 février 1901) ; un projet de mobilier
scolaire complète l’ensemble. Tout semble concourir
vers l’exécution des travaux dans le courant de
l’année : approbations du Conseil départemental de
l’Instruction publique le 23 mai et du Conseil des
Bâtiments civils le 7 juin, octroi d’une
subvention de l’État le 4 septembre, d’un montant
de 20 185 F, qui
ne couvre donc pas la moitié de la dépense prévue. Il
faut recourir à un emprunt de 42 620 F,
remboursable en 30 ans au moyen d’une imposition
extraordinaire de 16 centimes, autorisés par
l’arrêté préfectoral du 30 juillet 1902 qui
vaut en même temps approbation définitive.
L’adjudication des travaux est attribuée
le 14 septembre suivant à Claude Devillard,
entrepreneur à Sully, moyennant un rabais de 8 %, ce qui
porte le marché à 54 490,15 F. Très vite,
architecte et municipalité constatent des
malfaçons : les travaux de fondation sont jugés
inacceptables et les constructions déjà exécutées
doivent être démolies. Dans le même temps, la
municipalité doit subir les plus vives critiques de la
population qui ne comprend pas l’implantation de cette
école à l’écart et en contrebas du bourg, bien qu’elle
n’eût pas réagi au moment de l’enquête publique. Au
terme d’une longue procédure accompagnée d’expertises
contradictoires, les difficultés se soldent par un
arrêté du Conseil de préfecture le
30 janvier 1904 qui prononce la résiliation
du contrat et la condamnation de l’entrepreneur à
dédommager la commune
(1268,55 F).
L’ABOUTISSEMENT
DU TROISIÈME PROJET
(1904-1907)
1904. Le projet Poinet
Lorsque le contrat avec l’entreprise est
résilié, l’architecte Boiret est décédé depuis le
30 avril 1903. La municipalité, qui n’est plus
celle qui avait initié le projet, souhaite revoir
l’implantation du bâtiment « pour donner
satisfaction à la population. » (Lettre de
l’inspecteur d’académie au préfet,
19 avril 1904). En reportant la construction
de l’école tout en haut du terrain et proche de la
route d’Autun, donc plus à portée du centre d’Anost, il
devient impossible de reprendre tel quel le projet
Boiret, car la largeur du terrain excède de trois mètres
celle du terrain disponible. On se résout à faire appel
à Alfred Poinet qui, en sa qualité d’architecte
départemental, est intervenu comme expert auprès du
Conseil de préfecture : il avait notamment signalé
une conception vicieuse due à la forte déclivité du
sol. Poinet propose d’adapter pour Anost un projet
scolaire subventionné pour Digoin, comprenant trois classes au
rez-de-chaussée et un étage réservé aux
logements ; un préau et un réfectoire pourraient
être aménagés dans le niveau de soubassement :
c’était en quelque sorte revenir au premier projet
Boiret critiqué par le Comité des Bâtiments
scolaires ! Enfin, Poinet suggère d’orienter la
façade officielle du côté de la route dont elle
serait séparée par une « cour
d’honneur » : « Elle serait plus
accessible, plus décorative et la cour [des élèves]
mieux exposée. » (Lettre du sous-préfet au préfet,
21 février 1904)
1905-1906. La construction et la
réception d’œuvre
L’affaire sera désormais promptement
menée : le conseil municipal approuve plans et
devis par délibération du 20 mars 1904. Le
projet ayant été validé par le Conseil des Bâtiments
civils le 2 mai, puis le 25 mai par le
ministère de l’Instruction publique qui maintient la
subvention obtenue en 1901, l’autorisation préfectorale
peut être accordée le 28 du même mois.
L’adjudication des travaux a lieu le
3 juillet 1904 au profit de Jules Bifontaine,
entrepreneur à Anost, qui consent, sur un devis définitif de
56 902,98 F un rabais de 3 %, soit un
marché 55 195,82 F. Il faudra 22 mois
pour achever la construction puisque la réception
provisoire des travaux est datée du
5 mai 1906. Ce délai assez long pour un
chantier de cette nature est peut-être à mettre au
compte du décès de l’architecte Poinet survenu en 1905.
C’est à son collègue autunois Truchot que revient la
charge de dresser le décompte de l’entreprise le
24 mai 1907, et au docteur Gautheron, maire
d’Anost, d’assurer la réception définitive des ouvrages
le 1er juin suivant. La dépense, qui s’élève au
final à 72 167,38 F, honoraires compris à
5 %, laisse à la commune un déficit de
8 167 F qui
sera couvert par un nouvel emprunt de 30 ans,
autorisé par arrêté préfectoral du
27 juillet 1907, et absorbé par une imposition
exceptionnelle de 3 centimes additionnels par
franc.
*
*
*
Ainsi, après avoir mobilisé quatre
municipalités et trois architectes pendant onze années,
l’école de filles d’Anost constitue certainement pour
la
Saône-et-Loire l’un des plus longs
programmes de construction scolaire mis en œuvre.
L’édifice, qui s’élève fièrement à la sortie sud du
bourg et en contrebas de la propriété Basdevant, était
promis à un bel avenir puisqu’aujourd’hui, plus d’un
siècle après son achèvement, il accueille toujours
l’unique école de la commune.
ARCHITECTURES
RÉPUBLICAINES
L’architecte
Alfred Poinet
(† 1905) a signé à Anost l’une de ses dernières
réalisations scolaires en Saône-et-Loire. D’abord
architecte des arrondissements de Chalon et Louhans, il
s’est d’abord illustré par la construction de nombreux
bâtiments communaux (mairies, écoles, églises)
principalement en Bresse. Nommé en 1886 au poste
d’architecte départemental, il déploie son activité sur
l’ensemble de la Saône-et-Loire par la
construction d’une cinquantaine de bâtiments scolaires,
avec ou sans mairie. On lui doit aussi quelques
édifices hospitaliers (hospice d’aliénés à Mâcon,
hospice Bouthier de Rochefort à Semur-en-Brionnais,
agrandissement de l’asile de Rocca à
Bois-Sainte-Marie).
Ses édifices présentent une architecture
sobre, un peu stéréotypée, mais d’appareil
soigné : plan rectangulaire allongé, élévation avec
un étage couvert d’un toit à croupes, encadrements
d’ouvertures chanfreinés, façade avec
avant-corps central : on reconnaît l’école
d’Anost. La distinction vient ici de l’importance du
niveau de soubassement pour racheter la déclivité
naturelle du sol, ainsi que d’un décor discret qui
atténue l’austérité de l’ensemble, en utilisant un
vocabulaire architectural récurrent chez Poinet :
corniche et linteaux en céramique, avant-toit soutenu
par des aisseliers, lucarne à oculus, linteaux en arc
segmentaire aux ouvertures de l’avant-corps, rompant la
monotonie de la façade. Enfin, contrairement à la
plupart de ses édifices construits en appareil réglé
constitué de moellons de pierre, l’architecte a opté
ici pour l’appareil en blocage recouvert d’un
enduit.

Façade
nord-ouest de l'école
L’édifice non réalisé par l’architecte
Jean-Baptiste Boiret (1832-1903), si l’on s’en
réfère aux dessins du projet final pour l’école de
filles d’Anost, aurait eu une forme et une structure
proche de celui de Poinet : même plan
rectangulaire, même élévation, mais sous un toit à
deux-versants, avant-corps central, appareil chanfreiné
pour les baies ; la nuance serait venue du fronton
couronnant cet avant-corps, d’inspiration néo-gothique
discrète (profil mouluré des crossettes de pignon). Les
écoles d’Athez et de Dront, œuvres de Boiret, offrent
l’illustration de ce que pouvait être la manière de
l’architecte.
Boiret a connu un parcours professionnel
très atypique : d’abord instituteur ayant occupé
plusieurs postes en Bresse et en Mâconnais, il est
appelé par le préfet Frédéric Morin en octobre 1870
pour un emploi de secrétaire de préfecture :
fervent républicain, franc-maçon, les réseaux
d’influence ont œuvré en sa faveur. Puis il devient à
partir de 1875 secrétaire-rapporteur de la
Commission départementale, exécutif du
Conseil général de Saône-et-Loire. Au fait de tous les
projets de construction scolaire du département, les
circonstances qui l’ont initié à l’architecture nous
échappent néanmoins. On peut tout de même noter sa proximité
politique et professionnelle avec l’architecte
François Dulac (1834-1901), maire de Savianges,
conseiller général du canton de Buxy, puis
sénateur ; résidant à Mâcon, Boiret est présent sur
tous les chantiers scolaires de Dulac en Mâconnais.
L’architecte-sénateur Dulac, qui a
réalisé 35 mairies et écoles en Saône-et-Loire, a
dirigé plusieurs programmes en Morvan :
mairies-écoles de Cussy, de Sommant, agrandissement de
la mairie-école de La Grande-Verrière. De son
côté, après un projet sans lendemain à Cussy, et la
construction de la mairie-école de Dracy-Saint-Loup
(1890), Boiret est sollicité par la commune d’Anost à
partir de 1893 comme on l’a vu. La correspondance entre
Boiret et Dulac témoigne des difficultés que les deux
maîtres d’œuvre ont eu à affronter dans la
région. On soulignera la proximité du projet
proposé par Boiret en 1899 pour l’école de filles
d’Anost, avec la solution adoptée à Cussy et à Sommant
par Dulac : des préaux aménagés
dans le niveau de soubassement, ouvrant sur la cour au
moyen d’une série d’arcades en plein-cintre. Ce procédé du
préau-galerie que l’architecte-sénateur a expérimenté
dès 1882-1883 devient fréquent dans ses projets
scolaires.
Mais c’est à travers un élément
architectural plus simple que les deux architectes
semblent parler d’une même voix. L’avant-corps
central couronné d’un fronton constitue
peut-être la véritable signature commune aux deux
architectes : fronton maçonnique, diront
certains ? Certes, la république n’a pas inventé
le fronton d’inspiration néo-classique, mais elle en a
fait la citation « parlante » et politique
d’une architecture qui proclame ostensiblement le
pouvoir municipal, relais de la république triomphante
au cœur même des villages les plus modestes, auquel le
reste de l’édifice, consacré à l’institution scolaire,
tient lieu tout autant de fondement que de piédestal.
Comme jadis le château exprimait la force
militaire et la puissance seigneuriale par la dimension
des tours, comme l’église disait l’affirmation de la
foi et son rayonnement spirituel par la hauteur des
voûtes et du clocher, comme le palais signifiait la
gloire et le pouvoir absolu de la monarchie par la
majesté des proportions et du décor, il est certain que
ces mairies et ces écoles du 19e siècle, solidement
ancrées dans le socle cristallin du Morvan, à la fois
robustes et sévères, faisaient passer quelque chose des
convictions républicaines de leurs auteurs et de la
puissance publique,
« maisons un peu trop solennelles mais
qui affirmaient
la conquête de la commune sur la vie du
village. »
Alain Dessertenne
5 janvier 2015
ARCHIVES
DÉPARTEMENTALES DE SAÔNE-ET-LOIRE, série O
(dossiers communaux, fonds de la préfecture) :
Anost : écoles : O 40-41 ;
série T (fonds de l’inspection académique) :
bâtiments scolaires :
3T 247
|