LES CHEMINS DU CREUSOT A
MONTCENIS :
CHRONOLOGIE
Avant l’exploitation rationnelle et
industrielle du
charbon dans la
deuxième moitié du 18e
siècle,
rien ne justifie que l’on se
préoccupe
d’améliorer les communications
entre le hameau du
Creusot et le
bourg de Montcenis.
Le Creusot dépend
alors de la
paroisse du Breuil avec laquelle
s’établissent les
relations qui rythment la vie
communautaire. Le bourg de
Montcenis auquel sont
attachées, au titre
de
chef-lieu de bailliage, les
autorités
judiciaire et administrative,
n’appelle pas de
liens permanents avec
les
villages voisins. La petite
ville a
certes attiré quelques
commerces et des
artisans mais, reste un
peu à l’écart
des courants
routiers qui
animent la région, et par conséquent son
rayonnement économique
reste somme toute assez
modeste.
L’ancien hameau du Creusot, dont
l’emplacement
peut être situé près des
terrains de sport actuels de la
Plaine des Riaux, se trouvait au
débouché de la combe
de la
Charbonnière (quartier
des Riaux),
séparé de Montcenis par la
« montagne » des Hauts de
Baudot
et par son
ressaut oriental, le Bois des
Crots, dont l’arête
effilée venait pour ainsi dire lécher les
premières
maisons du village.
Ce dernier, par
ailleurs adossé au
chaînon de
collines abruptes qui
l’abritaient de la
bise, et dont
l’horizon est limité au sud par
le môle
modeste où se sont
établis la Verrerie et
les premiers
quartiers du Creusot
moderne, occupait donc un site
relativement enclavé, mais
parfaitement relié aux
centres
de peuplement voisins, notamment
Montcenis,
comme le
montre la lecture des terriers de
cette
seigneurie dressés en
1511 et 1610, qui
citent l’un et
l’autre, parmi bien
d’autres, «le chemin de Crosot à
Montcenys ». Mais remontons le cours du temps, à
partir de
la
voirie actuelle,
pour voir
comment ont
évolué les communications entre ces
deux
lieux.
1°
ROUTE DU CREUSOT A
MONTCENIS PAR
LA
MAISON NEUVE.
1853.
C’est une création du milieu du 19e
siècle, à
l’origine tronçon de la route départementale n° 5 de Chagny
à la
limite
de la
Nièvre, puis Chemins de Grande Communication n°
61 de
St-Léger-sous-Beuvray au
Creusot, prolongé par le
C.G.C.
n° 62 du Creusot à
St-Loup-de-la-Salle qui suivait le canal jusqu’aux
Forges de
Perreuil,
d’où un tracé inédit
vers Le Creusot avait
été
entrepris dès 1843 ; cette dernière
section fut un
moment intégrée au
réseau
national (N 484) ; c’est
aujourd’hui
la D 984 ; les
travaux, adjugés en
1851, sont achevés en
1853,
entre La Croix Menée et
« Le Guide de Montcenis » (carrefour
avec la D
980).
[A.D.S.L. 2S 454]. La
route, taillée en
encorbellement sur le versant sud
des Hauts de Baudot,
contourne en
quelque sorte
l’obstacle du relief. On
peut
remarquer qu’elle reste à peu
près parallèle à un
ancien chemin tracé
en contrebas,
représenté par les
« traverses » de
Montporcher et de Montcenis,
chemins qui
apparaissent déjà
dans les terriers de
Montcenis
aux 16e et 17e siècles ;
le chemin de la
Couronne au bois de
Montporcher est
qualifié de sentier
en 1786
[A.D.C.O. C 2544] ; cependant,
dans le même
document, il est
dores et déjà question
de « la nouvelle route de
Montcenis à
l’Etablissement » [Fonderie Royale].
2°
CHEMIN DE LA FONDERIE
ROYALE A MONTCENIS PAR
LA CHAUME.
1782.
Le projet de cette route figure pour
la
première fois
en 1781 sur un
plan de « la vallée de la Charbonnière
près
Montcenis »,
dressé
par Pierre Toufaire, ingénieur
de la
Marine, architecte de la Fonderie
royale au
Creusot, et
dont l’Académie François
Bourdon possède une copie,
mais dont l’original demeure aujourd’hui
introuvable.
A
cette
époque, l’exécution de nouveaux
chemins
devait avoir l’agrément des Elus
généraux
des Etats de
Bourgogne dans le cadre d’un
programme routier
triennal. La demande est donc appuyée par un
Mémoire de
M. de Wendel,
l’un des
administrateurs de la Fonderie
royale,
qui sollicite deux
embranchements pour
raccorder celle-ci au
grand chemin de
Montcenis à
Couches (actuelle D
1) : l’un vers La Croix
Menée,
d’une longueur de 200 toises (par
l’actuelle rue
Maréchal Foch), l’autre vers
Montcenis, « depuis la porte du couchant
de
l’Etablissement
jusqu’au sommet
de la montagne
[Bois des Crots] et où il joindrait le chemin actuel
allant à
Montcenis »,
d’une
longueur d’environ 500 toises.
[N.B.
une toise = 1,950 m environ].
L’ouverture de
cette route
est d’autant plus
urgente que c’est par elle que
doivent être acheminées les machines à
vapeur, importées
d’Angleterre et qui ont remonté
la Loire jusqu’à
Digoin. Après
délibération le 26 janvier 1782,
les Elus
généraux ordonnent
que les deux routes, dont
l’un doit
communiquer avec la
Saône par Couches,
l’autre à la
Loire par Toulon, « seront tracés, les piquets
plantés,
qu’il en
sera dressé
procès-verbal et levés en
plan » [A.D.C.O. C 3225]. Dans le programme
routier
de 1784,
le plus achevé que la
Province ait produit sous
l’Ancien Régime et qui sert de base à
notre réseau
moderne, la route n° 43 désigne donc le
chemin de
Montcenis à
Couches [actuel D 1]
avec les deux
embranchements
de la Charbonnière à la Croix Menée
et de
la Charbonnière à Montcenis.
L’embranchement de la Fonderie
royale du
Creusot peut
être défini grâce à
un plan non daté mais
postérieur à cette date, dressé par
l’ingénieur-géographe Poirson
[A.D.S.L 1
Fi/19/6] : il
emprunte d’abord la
rue Lavoisier, en
décrivant un
large lacet contournant la
« Combe
Rousse » (site
des actuelles résidences
Pythagore),
pour atteindre La
Chaume, puis le Moulin
Miroir
où, comme le précise le mémoire de
Wendel, il
était
rejoint par l’ancien chemin dont il
sera question
plus loin.

Plan Poirson [Archives
départementales de
Saône-et-Loire, 1Fi
19/6]
La nouvelle route ainsi créée au 18e
siècle
est
désignée au cadastre de 1835
comme «chemin
ferré» du Creusot à Montcenis. Cette
dénomination
est
intéressante car elle illustre
peut-être le fait que la
nouvelle route de 1784 reprenait, dans
la montée de la
Chaume
jusqu’au Moulin
Miroir, un tronçon de l’ancien
chemin d’Autun à Saint-Gengoux,
par Marmagne, La
Collonge, la Croix du
Lot,
La Villedieu
et Torcy. Ce dernier, qui figure
dans les terriers de
Montcenis et de
Torcy,
existe depuis le 15e siècle au
moins ; d’origine
médiévale certaine, il peut même
être
présumé d’origine
antique (jalons archéologiques).
Pérennisé dans la voirie
actuelle par la rue de Nevers
et la rue
Albert 1er, il vient
former avec le chemin de
Couches
à Montcenis (actuelle D 1)
la croisée dite des
Quatre Chemins près
duquel les
Hospitaliers de la
Commanderie
de Beaune avaient établi un domaine
agricole et une maison
hospitalière de La Villedieu au
13e
siècle. Rappelons ici
que le chemin de Couches à
montcenis est lui-même héritier
d’un itinéraire de la
Bourgogne ducale de
Dijon à la
Loire (Digoin).
En 1784, l’obstacle des collines qui
séparent
le
village du Creusot et
Montcenis, avait donc été
franchi avec l’aide de quelques lacets,
spécialité
routière du 18e
siècle. Mais le plan
dressé par Pierre
Toufaire en
1781 laisse clairement voir
qu’un chemin
les reliait déjà, et plus
directement, en
suivant
l’arête du Bois des
Crots depuis le village du Creusot
jusqu’au Moulin Miroir,
d’où il oblique vers
l’ouest pour
atteindre Montcenis;
ce chemin existe
encore, réduit
à l’état de sentier ;
après avoir
longé les anciennes
excavations
minières qui en a
sans doute
modifié le tracé inférieur, il
débouche près
de l’actuel gymnase du
lycée
Lavoisier. On ne peut
préciser son
origine, ni son usage (piétonnier ou
charretier), mais il s’agit
assez probablement du
chemin
désigné dans le
terrier de Montcenis (1610) comme
allant du Creusot à Montcenis
par les Hauts de
Baudot.
Par ailleurs, il existait un chemin
cité dans
les deux
terriers de Montcenis
(1511 et
1610) reliant
le hameau du Creusot à celui de la
Couronne, village de la paroisse
de Torcy
; il n’apparaît pas sur
le plan de
Toufaire en 1781, mais il
est désigné
sur un plan-terrier de Torcy (1754)
comme
« chemin de Torcy au bois au
Seurre », et
il
semble bien
qu’il ait servi de base au tracé de la
nouvelle route de 1784 au moins
dans la partie
inférieure de la rue
Lavoisier. Il
est aussi question
en 1610
du « chemin nouvellement faict
pour la
commodité de
ceux qui vont
charger le charbon au bois au
Seurre »
et touchant
à « la Combe
Rousse » déjà citée ; ce chemin pourrait
correspondre à la
partie médiane
de la rue Lavoisier, qui
permettait, au prix d’un détour, par
rapport au
sentier précédent,
d’atteindre le sommet
du Bois des
Crots ; il ne
figure pas sur le plan de
Toufaire
en 1781, mais est déjà
représenté sur le plan de
Poirson.
Que désigne exactement le bois au
Seurre ?
Le terrier de 1610 cite à
plusieurs
reprises « au finage du
Creusot » des terrains
situés « au lieudict et appelé bois au
Seurre »
dans lesquels
« sont à présent
plusieurs
crots de
charbon »,
dont
on apprend qu’ils sont en
contestation
entre
divers
exploitants ; ces parcelles
apparaissent à chaque fois
confinés
«de
morvange » (nord-ouest) par le vallon de
l’étang
des
Ruaux «
à
présent en
ruyne »,
et « de
midy »
(sud) par le chemin tendant du
Creusot à
Montcenis ; la
confrontation de toutes les
descriptions contribue à identifier
le Bois au Seurre
avec une partie de
l’actuel Bois
des Crots, Rappelons
pour la petite
histoire que cette colline, qui
domine
l’actuel quartier des Riaux fut
longtemps
dénommée par
les anciens
creusotins « la montagne qui
brûle » en raison des fumerolles remontant à
la
surface
du sol, qui trahissaient le
feu couvant sous la terre
dans les couches de charbon. Pendant la
Seconde Guerre
mondiale,
la « montagne qui
brûle » et ses anciens « crots » a
encore
fourni du combustible à nombre
de
Creusotins. Un rapport d’expertise des
Mines,
Forges et
Fonderies du Creusot, daté du 8
octobre 1834 et conservé
à l’Académie François Bourdon, mentionne
encore un
bois aux Sieurs. Le site a été mis en valeur par un
sentier
patrimonial (départ et
panneau
d’information, aux Riaux, rue de
Lonwy).
3°
CHEMIN DU HAMEAU DU CREUSOT
A MONTCENIS PAR LES
RIAUX.
1770.
Toutefois, il n’est pas question de
ces
anciens
chemins dans le Mémoire de
Wendel quand il cite en
1782, « le chemin actuel allant à
Montcenis ». Il s’agit d’une autre voie dont on
connaît
l’origine
exacte et qui
remontait alors à une dizaine
d’années au plus. Quand l’ingénieur
Gabriel Jars vint
visiter les mines
du Creusot en
1768, il préconisa de
rendre
praticables deux routes pour
transporter le
charbon vers la Loire et
la
Saône : «
celuy
de Montcenis à la grande route
de
Charolles à Chalon et celuy de
Montcenis à
Toulon. » [Chevalier, 1935]. La même année,
François
Delachaise,
qui souhaite obtenir
la concession des
mines,
adresse une supplique aux Elus généraux
dans ce
sens ; l’année
suivante, il
obtient la concession pour
50 ans,
et le 30 décembre 1769,
les Elus généraux ordonnent à
l’ingénieur
Gauthey de
planter les piquets
des chemins de Couches à
Montcenis (actuel D 1) et de la
Charbonnière à
Toulon, «
n’y
ayant actuellement de routes
dans cette
partie de la Province plus
intéressantes et
plus
pressées. »
[A.D.C.O. C 3220]. La délibération
avait
précisé les
communautés qui
devaient travailler à la
construction de cette route :
Charmoy,
Saint-Nizier-sous-Charmoy
(les Bizots),
Blanzy et
St-Bérain-sous-Sanvignes.
Une tempête de protestations
s’élèva parmi les propriétaires
riverains. Cependant,
les Elus
généraux déboutent le 17
décembre 1770
« tous les suppliants de
l’opposition
par eux
formée à la confection du
chemin dont il
s’agit. »
[A.D.C.O. C
3222].
Le procès-verbal de l’ingénieur
Gauthey
établissant le
chemin de la
Charbonnière à Montcenis
nous est
parvenu, daté du 5 mai 1770, et
accompagné
d’un plan daté du 15 mai 1769
[A.D.C.O.
C 4363]. Comme il
s’agit d’un document
intéressant pour la topographie
des lieux décrits on en donne ici
la transcription
intégrale. C’est aussi une façon
d’évoquer l’œuvre
routière de cet ingénieur, souvent moins
reconnue que
ses créations
prestigieuses
de ponts et de
canaux.
« Emiland Marie Gauthey,
sous-ingénieur
des Ponts
et Chaussées des Etats
de Bourgogne scavoir
fait
que en exécution de la délibération de
MM. les
Elus généraux en date du
10
janvier de la présente année,
qui ordonne
que les piquets du chemin de
Montcenis à la mine de charbon de terre
seront
incessammment
plantés pour donner à ce
chemin vingt
pieds
de largeur seulement non compris les
fossés
Je me suis transporté les 4 et 5 du
présent
moy de
mai sur les lieux
accompagné du sieur Tacot,
directeur des chemins en cette partie,
et j’ai planté
les piquets dudit
chemin suivant
la ligne noire sur le
plan, à
savoir la ligne AB dans l’ancien
chemin faisant
un contour pour éviter un
pré, les
lignes BC, CD partie
dans l’ancien
chemin, partie dans une terre
labourable
ayant peu de fonds étant sur
le sable
ou le cran ;
la partie DEF
forme un tournant dans la vallée et est
entièrement sur la
chaume ; la partie G est
dans un
petit bois appartenant à
M. Garchery ; la partie
GH
traverse une terre
défrichée depuis peu de
temps ;
depuis Montcenis jusqu’au point
H le
chemin est tracé en montant
sur une pente
douce de trois
et quatre pouces de pente
par toise ; depuis le
point H jusqu’au point M on traverse
un bois et l’on
côtoie une
montagne trop
rapide où il a fallu faire
trois
tournants pour rendre le chemin
praticable. La
longueur totale
de ce chemin depuis
le clos des
Religieuses de Montcenis
jusqu’à l’entrée de la mine est
de 1450 toises. L’emplacement
du chemin occupe un
journal
un quart en terres
labourables, à cinquante
livres le journal, un tiers d’arpents en
bois à 100
livres non compris la
coupe et
trois arpents d’autre bois à
80 livres
ce qui fait au total un dommage
de 340
livres pour lequel l’ancien
chemin qui
n’a que 1200 toises
de longueur sera
donné en
dédommagement. »
[1 pouce =
2,70
cm.]
Le chemin tracé par Gauthey en 1769
apparaît
très
nettement sur le plan de
Pierre Toufaire en 1781,
avec ses trois lacets entre Le Moulin
Miroir et Les
Riaux, mais il ne
figure plus sur le
cadastre du Creusot en
1835.
Cependant, ce chemin existe
encore :
partant de la place du Canal, aux
Riaux, il
longe le
Bois des Crots jusqu’à
une maison isolée [carte
I.G.N. cote 390] près de laquelle il
décrivait un
premier lacet et où des
remblais
miniers semblent en avoir
modifié le
tracé initial ; il monte
ensuite
à travers bois, selon une pente
régulière
et
modérée ; la rectification
du tracé de la rue du
Moulin Miroir a escamoté le tracé
supérieur entre le
dernier lacet,
très serré, et le
Moulin Miroir [cote
462].
Ce dernier lieu-dit se trouve en
quelque
sorte au
point de jonction des trois
chemins anciens montant
du village du Creusot ; la suite du
tracé, sur le
flanc de la
« montagne » des Hauts de Baudot,
rectifie en fait un chemin
pré-existant, comme on le
voit dans le
rapport
de Gauthey. Parfois nommé
« chemin des
diligences »
,
aujourd’hui simple chemin rural, il
traverse
un
paysage exceptionnel de landes
couvertes de genêts et
de callunes, ouvert sur un panorama
immense. Ce tronçon
sera
probablement élargi lors
des travaux engagés vers
1784
pour le transport des
machines à vapeur :
peut-être
faut-il voir là l’origine des
bordures
visiblement retaillées
à coup de pic dans
la roche.

Chemin du
Moulin Miroir à
Montcenis
SOURCES
Archives départementales de
Côte-d’Or (A.D.C.O) :
série C :
Ponts-et-Chaussées : cotes
dans le texte ; série
B :
terriers de Montcenis : B
1262
(1511) ; B 1263
(1610) ; plan-terrier de
Torcy : E
2124.
Archives départementales de
Saône-et-Loire (A.D.S.L) : série
S :
routes (cote dans
le texte) ; série Fi :
(plan
Poirson).
F. CARRE, Le paysage médiéval dans l’actuelle
commune
de
Montcenis,
Maîtrise d’histoire,
Dijon,
1992.
J.CHEVALIER,
Le
Creusot, berceau de la grande
industrie
française, 1935.
Remerciements à Louis Lagrost.
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