LES ÉCOLES DE HAMEAU EN
SAÔNE-ET-LOIRE
« L’école
de hameau est, par excellence, l’école du paysan-laboureur qui vit confiné dans
sa ferme, trop loin des villes et des bourgs. »
A. Poitrineau,
1889
L’ÉCOLE
DU LÉGISLATEUR
C’est aussi, pour le dire autrement, l’écho à
l’échelon le plus humble, de la volonté nationale qui s’est fixée pour but
d’instruire le peuple, où qu’il soit, dans les moindres recoins de la campagne
française. L’idée ne date pas de la République : déjà, sous l’impulsion de
l’Église, les « petites écoles » fleurissaient depuis le 17e siècle.
Dans les régions de montagne, de nombreux hameaux isolés ont bénéficié des
fondations faites par quelque émigrant fortuné, pour entretenir une école et
son « régent ». La Révolution, qui porta un coup mortel à ces écoles,
ne manqua pas de généreuses intentions : le projet de Condorcet prévoyait
une école pour chaque hameau situé à plus de deux kilomètres d’un
village et réunissant 400 habitants ; plus réaliste, le projet de
Daunou envisageait une école pour 1000 habitants ; enfin, l’école de
hameau est en germe dans ce projet de décret du 17 novembre 1794 :
« Dans les lieux où la population est trop disséminée, il pourra être
établi une seconde école primaire. » Tout au long du 19e siècle, le
législateur se préoccupe de l’instruction des populations rurales dispersées.
On retiendra comme folklorique la tentative utopique des « écoles
ambulantes » (décret du 12 novembre 1833), qui fut pourtant une
réalité en montagne où des maîtres itinérants grimpaient d’alpage en alpage. Un
texte du ministre Guizot, père de la loi fondatrice de l’école primaire en
France, note avec pragmatisme : « L’absence d’écoles privées, le
nombre plus ou moins grand d’élèves indigents, le fractionnement de la
population en plusieurs hameaux, la distance qui les sépare du chef-lieu de la
commune, les difficultés de communication, sont des circonstances qui doivent
être prises en considération. » (Circulaire du 27 avril 1834).
Importante aussi par les moyens qu’elle apporte, la loi Duruy de 1867 prévoit
que le conseil départemental de l’Instruction publique déterminera les cas où
pourront être établies des écoles de hameau. Les lois républicaines apportent
les moyens financiers décisifs pour l’application de règles précises :
« Lorsque des hameaux voisins […] appartenant à des communes limitrophes
sont situés à plus de 3 km de leur commune respective, et fournissent ensemble
un effectif d’au moins 20 enfants d’âge scolaire, le conseil départemental
peut, malgré l’avis contraire des conseils municipaux, réunir ces hameaux en
une circonscription pourvue d’une école. » (Décret du 7 avril 1887).
Ce texte, qui porte en germe l’idée moderne d’intercommunalité, est à l’origine
de l’expansion de l’école de hameau entre 1890 et 1914. Aujourd’hui, la
présence de ces grands bâtiments scolaires, isolés au cœur d’une campagne
dépeuplée, rappelle à notre souvenir le temps des densités importantes de
population rurale : que l’on imagine autour de l’école de Chouillère
(Mouthier-en-Bresse), impressionnante de solitude, un bocage fourmillant de
400 habitants dispersés en 1887 ! Aux Grandes Avaizes, ancien hameau
de Saint-Maurice-les-Châteauneuf devenu commune de Saint-Edmond, la population
scolaire potentielle s’élevait à 110 élèves à la fin du 19e siècle…
PRÉSENTATION
On a exclu ici les écoles de quartiers suburbains
excentrés, comme il en existe dans les communes minières (Montceau-les-Mines,
Saint-Vallier, Sanvignes, Épinac), ainsi que les mairies-écoles isolées ou implantées
à distance du chef-lieu (Brion, Burnand, Mancey, Saint-Martin-de-Commune…). En
revanche, on retient comme école de hameau les écoles communales de filles
établies dans un lieu distant du bourg : La Canillote pour Saint-Vincent-les-Bragny ;
Blany pour Laizé ; Putacrot pour Montagny-près-Louhans ; Germolles
(qui fut école de garçons avant 1897) pour Mellecey. On a pris en compte aussi les
écoles de hameaux devenus chef-lieux, outre Saint-Edmond déjà cité : Fleurville,
ancien hameau de Vérizet ; Les Guerreaux, commune constituée à partir de
La Motte-Saint-Jean, Neuvy-Grandchamp et Saint-Aignan ; enfin Neuzy,
aujourd’hui faubourg de Digoin, jadis hameau de Vigny-les-Paray, commune
elle-même rattachée à Digoin.
Concernant la répartition des écoles de hameau,
l’ouest, le sud-ouest et le centre du département en sont à peu près dépourvus,
ce qui contredit l’idée que leur implantation serait liée à la taille des
communes, les plus vastes étant précisément dans ces régions. La configuration
du territoire communal paraît plus déterminante, par exemple dans la vallée du
Mesvrin en Autunois, où l’étirement des superficies éloigne une partie de la
population à de grandes distances des bourgs (6 à 7 km). C’est dans l’est
du département qu’apparaît la plus forte concentration d’écoles de hameau, conséquence
de l’extrême dispersion de l’habitat, associée à une relative étendue du
territoire communal et surtout à de fortes densités de population.
Considérant maintenant la répartition
chronologique, l’âge d’or de l’école de hameau se situe entre 1890 et 1914, une
dizaine d’écoles échappant à cette période. Les écoles de Tallant et de
Balleure à Étrigny sont particulièrement précoces : conçues dès 1832 comme
« lavoir couvert de chambres dessus », elles prennent pour modèle
l’école-lavoir de Sennecey-le-Grand (actuelle bibliothèque), et se rattachent
au type des mairies-lavoirs assez fréquentes en Franche-Comté, plus rares en
Bourgogne où elles se concentrent dans l’Avalonnais, le Châtillonnais et l’Arrière-côte
de Nuits-Saint-Georges. L’école de Putacrot, déjà citée, et celle des Sutils
(Savigny-en-Revermont), sont acquises sous le Second-Empire ; l’école de
Fragny (Autun) est construite à la même époque. La plus tardive est l’école de
Glairans (Mervans) qui date de 1937.
La plupart des écoles de hameau sont conçues pour
établir la mixité ; toutefois, certaines ont accueilli, au moins pendant
un temps, garçons et filles dans des classes séparées : ces écoles
« géminées » sont situées à Dront (Anost), Fragny (Autun), Germolles
(Mellecey), La Rippe des Monts (Romenay), Les Bulets (Sagy), Mazenay (Saint-Sernin-du-Plain),
Les Sutils, Putacrot et Saint-Edmond.
HISTOIRE
Dans une douzaine de cas, la construction d’une
école de hameau est précédée d’une location. C’est le cas à Perrigny
(Saint-Martin-en-Bresse) où l’école est établie dans une ferme : « Ce
n’est pas une classe, écrit l’inspecteur, c’est plutôt une remise. »
Certaines de ces écoles louées sont finalement acquises par la municipalité,
ainsi à Mont (Cortevaix), Thorey (Saint-Germain-du-Plain). À La Reine
(Varennes-Saint-Sauveur), existait une école privée. À Chouillère
(Mouthier-en-Bresse), en 1866, une école clandestine était tenue par un instituteur
révoqué, manœuvre et berger durant l’été, dirigeant la classe pendant l’hiver.
Au total, 16 bâtiments résultent d’une acquisition ou d’une appropriation
d’édifices existants. Quelques écoles ont pour origine un legs, comme à Putacrot,
ou un don, par exemple à Balosle (Saint-Germain-du-Bois). L’école du Verdier
(Dompierre-les-Ormes) provient d’un domaine dépendant de la fondation de Rocca
à Bois-Sainte-Marie, concédée gratuitement à la commune par le département. Voulant
peut-être imiter Mme Boucicaut qui avait fait construire les écoles voisines de
Verjux, Mme Monnot, née Guillot, fait un legs pour la fondation d’une école à
Villeneuve (Gergy) en 1899 : école « mixte, gratuite et laïque »
comme le rappelle l’inscription sur le bâtiment.
 Saint-Martin-en-Bresse, Perrigny
La création d’une école résulte parfois de
l’acharnement d’une seule personne. À Fragny, le curé Vitteault entreprend, en
dépit des tracasseries administratives, et avec l’aide de souscriptions et de
tâches bénévoles, la construction d’une école que la ville d’Autun fait achever
en 1860. L’école des Guerreaux (1868) est de même élevée à l’initiative du curé
Lapalus qui avance les sommes nécessaires, avec les matériaux et les
prestations en nature fournis par les habitants ; l’achèvement de
l’édifice est assuré après la constitution de la commune nouvelle des
Guerreaux. En d’autres lieux, les habitants eux-mêmes multiplient les démarches
pour obtenir une école, parfois contre la mauvaise volonté municipale. À La
Chaume (Marmagne), le conseil n’apprécie guère la pétition réclamant l’emploi
des fonds versés par la Compagnie Schneider du Creusot pour indemniser la
commune suite au passage d’un aqueduc. À Dompierre-les-Ormes, malgré une
pétition des habitants, la municipalité ajourne la création d’une école à
Monnet.
La création d’une école n’est pas sans soulever
parfois des résistances, des conflits entre communautés. L’administration
impose une construction d’office à Panissière (Bosjean) où les habitants
rédigent une pétition pour surseoir à cette décision. À Bellefonds
(Saint-Martin-en-Bresse), un propriétaire refuse de céder l’emplacement ;
on construira l’école sur la voie publique qui sera déplacée en
conséquence ; dans la même commune, la municipalité, plutôt que
d’augmenter le devis pour obtenir une adjudication fructueuse, préfère supprimer
l’étage prévu au projet initial. À Crèches-sur-Saône, 130 habitants du
bourg pétitionnent pour demander la suppression de l’école de Dracé, alors que
ceux du hameau justifient son maintien par les revenus de leurs terrains
communaux. À Cortevaix, l’enquête publique recueille 114 oppositions
contre 57 approbations au projet d’acquisition d’une école à Mont.
Enfin, certains projets ne verront jamais le
jour : Bougerot à Gergy, Les Combards à Broye, Charnay et Clémencey à
Frangy… À l’inverse, certaines communes s’offrent le « luxe » de deux
voire trois écoles de hameau : Montoy et Velet à Étang-sur-Arroux, Mazenay
et Nion à Saint-Sernin-du-Plain, Bellefonds et Perrigny à
Saint-Martin-en-Bresse, Athez et Dront à Anost, Tallant, Balleure et Champlieu à
Étrigny. Quant aux écoles intercommunales, elles ne paraissent pas avoir été
aussi nombreuses que le préconisait l’esprit du décret de 1887 : citons
l’école de Lavault qui accueille les enfants de Saint-Symphorien-de-Marmagne et
de Charmoy, celle de Semon, commune à Cuiseaux et Champagnat.
ARCHITECTURE
Les bâtiments acquis ou appropriés ont conservé
l’aspect de maisons que rien ne distingue d’une habitation : l’école de
Putacrot est une maison bressane, celle de Dracé une maison de vigneron
mâconnaise, celle du Verdier une ferme de la montagne charolaise. Le parti
reste très rustique à Semon (Cuiseaux), aux Gambards (Le Miroir), à Repas
(Auxy). On a parfois ajouté une aile scolaire, comme à Mont (Cortevaix),
Noireux (Le Rousset), Chapey (Broye). Le cas de Mazenay est particulier, car l’école
occupait un ancien bâtiment monumental de la Compagnie Schneider qui exploitait
les mines de fer, baptisé la « Cantine » et qui avait servi de
dispensaire.
Le plus souvent, l’école de hameau est un édifice
de plan rectangulaire avec un étage pour le logement. Malgré sa simplicité, il
tranche sur l’habitat rural, et son relatif isolement lui confère une certaine
distinction : on pense à Lavault (Saint-Symphorien-de-Marmagne),
Villargeau (L’Abergement-Sainte-Colombe), Le Châtelet (Branges), Athez (Anost)…
Ailleurs, on a fait évoluer le plan par adjonction d’une aile en retour ou sur
le même alignement : citons Chouillère (Mouthier-en-Bresse), Nion
(Saint-Sernin-du-Plain), La Chaume (Marmagne), Colombey (Ouroux-sur-Saône), La
Rippe des Monts (Romenay), La Ville des Maréchaux (Serley)… Enfin, certains
bâtiments déploient deux ailes, comme une école de bourg d’une certaine
importance : Dront (Anost), Runchy (Mesvres), Les Bulets (Sagy).
Le vocabulaire architectural porte la marque de
leurs architectes : ainsi les écoles de Dulac à Montoy (Étang-sur-arroux)
et à Perrigny (Saint-Martin-en-Bresse), celles de Boiret à Dront et Athez
(Anost), affichent l’attention que portaient ces deux maîtres d’œuvre à la
pierre de taille. L’école des Bulets résume tous les caractères des projets
dressés par l’architecte départemental Poinet : parements en appareil
assisé, baies jumelées, arcs de décharge et corniche briquetés. L’école de
Chouillère souligne le goût de Gindriez pour la brique, celle de Villeneuve (Gergy)
l’usage constant de la pierre par Larnoy. L’appareil en calcaire blond à La
Canillote (Saint-Vincent-les-Bragny) rappelle la présence des carrières de la
vallée de l’Oudrache. Les écoles de Panissière (Bosjean) et des Bretins (Frangy),
dont les plans sont signés par l’architecte départemental Sallé, ont un air de
famille avec leur toit à pans dissymétriques. Enfin, de nombreux détails
personnalisent l’édifice : arcades à Perrigny, larges baies à La Reine
(Varennes-Saint-Sauveur), clocheton-arcade à Fragny, campanile à Glairans, etc.
À Athez (Anost), où l’école est à 8 km du bourg, une inscription
rappelle : « 1894. M. Saudon maire. Les habitants du pays
reconnaissants »
 Saint-Vincent-les-Bragny, La Canillote
PATRIMOINE
COMMUNAL OU PRIVÉ
Plus de la moitié des écoles de hameau ont été
aliénées du patrimoine communal, malgré l’attachement que leur portaient les
communautés rurales qui les avaient fréquentées. Certains propriétaires ont
respecté l’enveloppe externe des édifices, d’autres l’ont dénaturée avec
application. Quelques-uns ont poussé le scrupule jusqu’à conserver une
évocation scolaire dans la classe désaffectée : à l’école des Cours
(Brandon), on avait cru ne pas devoir effacer la tache d’une bouteille d’encre
renversée sur le sol ; à Chapey (Broye), le tableau noir était resté fixé
au mur comme une précieuse relique. Certaines communes ont eu à cœur de
sauvegarder ce patrimoine en lui offrant une seconde vie : musée du bois
et de la forêt à Perrigny, salle des fêtes à Mazenay, à La Canillote, gîtes
ruraux à Anost. L’école de Velet (Étang-sur-Arroux) a été intégrée au lycée
forestier.
L’école de hameau témoigne, avec nostalgie
parfois, d’une époque révolue où l’on marchait par tous les temps en sabots
pour se rendre à l’école, et beaucoup d’anciens se souviennent de cet espace de
liberté qu’était le trajet scolaire, contrepartie des contraintes plus ou moins
détestables qu’il imposait. L’écrivain Jean Genet, se souvenant de son enfance
d’enfant adopté, regrettait de n’avoir pu lui-même « participer aux
mystères des écoliers délivrés à quatre heures des parents et des
maîtres », sa famille nourricière habitant à côté de l’école
d’Alligny-en-Morvan (Nièvre). Cette école de hameau, dont l’usage n’a souvent
guère duré plus de cinquante ans, demeure avec la chapelle, les fontaines et
les lavoirs, le four communal, l’un des derniers édifices communautaires de la
France rurale du 19e siècle.
Tableau récapitulatif des écoles de hameau :
cliquer ici.
Sources. - Les informations contenues
dans cet article et dans le tableau associé, proviennent des dossiers communaux
de la série O et des dossiers de constructions scolaires de la
série T des archives départementales de Saône-et-Loire, dépouillés avec la
collaboration de Françoise Geoffray et Jean-François Rotasperti.
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