LES
THERMES DE L’HOSPICE D’ALIGRE A
BOURBON-LANCY.
Entré
en service en 1864, l’hôpital d’Aligre ne disposait pas
à l’origine de service thermal spécifique. Les malades
indigents pouvaient bénéficier de l’effet des eaux
thermales à condition d’être conduits de l’hôpital
jusqu’à l’établissement des bains, distant de plusieurs
centaines de mètres, dans des conditions inconfortables
et préjudiciables à leur santé déjà fragile.
L’établissement thermal offrait d’ailleurs de moindres
services aux indigents pour les accueillir
indépendamment des autres curistes. Une trentaine
d’années plus tard, l’hôpital construit ses propres
thermes, un bâtiment aujourd’hui peu connu, véritable
bijou d’architecture parvenu jusqu’à nous quasiment
dans ses dispositions d’origine.
LA
FONDATION
D’ALIGRE
Le
marquis Etienne-Jean-François-Charles d’Aligre
(1770-1847), pair de France sous la
Restauration, avait doté de son vivant,
grâce à une immense fortune familiale, des
établissements de bienfaisance dans la région de
Chartres, son pays d’origine : asile de Lèves,
hôpital de Bonneval (Eure-et-Loir). Sa générosité
s’était alliée à celle de sa petite-cousine,
Louise-Charlotte-Aglaé Camus de Pont-Carré (1776-1843),
co-héritière du château de Saint-Aubin-sur-Loire, près
de Bourbon-Lancy, qu’il avait épousée en seconde noces.
Dans la région proche, Luzy, Cercy-la-Tour et
Château-Chinon bénéficièrent ainsi de fondations. Le
vieil hospice des bains de Bourbon-Lancy n’avait pas
été oublié puis, par testament, le marquis d’Aligre
avait légué 200 000
F pour la construction d’un nouvel
hôpital, complété par un codicille prévoyant 100
000
F pour ériger une chapelle
funéraire qui devait accueillir les sépultures du couple
de donateurs.
La
construction de l’hôpital et de la chapelle connut bien
des vicissitudes pendant une quinzaine d’années. Trois
architectes se succédèrent à la direction de
l’entreprise. Le second, Léon Ohnet, d’origine
parisienne, réduisit notablement le projet de son
prédécesseur, J.B. Lambert, architecte du Jura. Mais un
conflit survenu entre l’architecte, l’entrepreneur et
les administrateurs, ainsi qu’une mise en demeure par
l’exécuteur testamentaire du marquis, relative à la
réalisation de la chapelle dont dépendait l’octroi de
la donation, amenèrent l’intervention d’un troisième
maître-d’œuvre, P. Desjardins, architecte de
la
Ville de Lyon, qui acheva les travaux.
Le
bâtiment initial présente un plan en H, classique pour
ce type d’édifice, articulé autour d’une chapelle qui
devait faire office de mausolée, de lieu de culte pour
les malades et d’église paroissiale ; une galerie
à arcades anime la façade au rez-de-chaussée du corps
principal ; des ailes hors-œuvre (administration
et pharmacie) et des corps de bâtiments relégués à
l’arrière (intendance, services) complètent l’ensemble.
Malgré les remaniements et extensions successifs,
l’ensemble conserve un caractère monumental de belle
apparence, notamment par la bichromie de son appareil
mixte (pierre et briques), et par son style
d’inspiration néo-gothique assez homogène.

Aujourd’hui,
les statues du marquis et de la
marquise
d’Aligre accueillent le visiteur de part et d’autre de
l’entrée principale du centre hospitalier. La chapelle
renferme le monument funéraire d’Aligre, de style
néo-gothique flamboyant, sous la forme d’un triptyque
représentant les donateurs et leurs saints patrons.
Parmi le mobilier remarquable : un antependium
(devant d’autel) en cuir gaufré du 17e siècle
orné d’un motif eucharistique.
UN INGENIEUR ET UN ARCHITECTE POUR LES
THERMES
La
Société
fermière d’exploitation des eaux thermales s’étant
engagée à fournir l’eau nécessaire au fonctionnement
des thermes annexés à l’hôpital d’Aligre (80
m3 par jour), un système de pompage et de
refoulement s’avère nécessaire pour l’acheminer vers un
château d’eau, ce qui nécessite le recours à une
machine à vapeur placée à proximité des sources et la
construction d’un aqueduc ; à cet effet, le Conseil
d’administration de l’hôpital, présidé par M.
Delonchamp, maire de Bourbon, fait appel à l’ingénieur
F. Delafond, du Bureau des Mines de
Chalon-sur-Saône.
Selon
la correspondance conservée dans les archives de
l’architecte François Dulac, de Savianges, c’est
l’ingénieur qui aurait souhaité qu’on fît appel à ce
dernier pour dresser les plans des constructions
nécessaires. Cependant, il est permis de supposer que la
position politique de Dulac n’a pas été sans influencer
ce choix. En effet, Dulac et Ferdinand Sarrien sont
conseillers généraux républicains depuis 1871,
respectivement pour les cantons de Buxy et de Bourbon.
Membre de la commission permanente du Conseil général
(travaux publics), Dulac sera par ailleurs
vice-président de l’assemblée départementale sous la
présidence de Sarrien (1896), autre signe d’une
proximité politique. Ajoutons que Michel Sarrien,
cousin du président du Conseil de la
Troisième République,
succède à M. Delonchamp comme maire et président du
Conseil d’administration de l’hôpital.
Dulac
présente son projet de construction d’un « établissement
de bains pour les pauvres comme annexe de
l’hospice »,
dont le devis s’élève à 205 024,57 F ; daté
du 14 janvier 1893, ce dernier est établi à
Paris où l’architecte a une résidence rue
Notre-Dame des Champs ; il vient en effet d’être
élu sénateur de Saône-et-Loire (1892). Ses différents
mandats l’éloignent de ses nombreux chantiers (une
douzaine de constructions scolaires à cette époque), et
le retard apporté aux modifications du projet provoque
de la part du Conseil d’administration une impatience
bien perceptible dans les échanges de
courrier.
Le
projet se décompose en six parties : bâtiment
semi-enterré de la machine à vapeur à proximité de la
prise d’eau ; canalisation de l’eau ; château
d’eau ; bassins de refroidissement ; bâtiment
des bains ; service balnéaire. Plusieurs
interventions vont contribuer à modifier le projet
primitif. En 1893, le Comité départemental d’hygiène,
qui n’a qu’un rôle consultatif, demande la suppression
des douches à l’étage, l’ajout d’une fenêtre au cabinet
médical, et préconise l’installation de cabinets
d’aisance avec « système
syphoïde et réservoir à effet d’eau » - ce que
nous nommons plus simplement W.C. avec chasse
d’eau ; d’autres observations concernent
l’évacuation des eaux usées, notamment le raccordement
à « l’égout romain ». D’autre part, le docteur
Gaëde, médecin thermal et membre du Conseil
d’administration, émet plusieurs suggestions concernant
les équipements balnéaires : proscription de la
baignoire métallique, association de douches et
baignoires dans certaines salles, préférence pour la
baignoire semi-enterrée à la place du système romain des
« baignoires-fosses » qui nécessitent un
escalier. Au final, le Conseil d’administration fait
supprimer l’étage du corps central au projet initial,
ce qui entraîne une nouvelle
répartition de tous les services au
rez-de-chaussée.
Les
archives ne nous ont pas transmis la date exacte
d’adjudication des travaux au profit de l’entrepreneur
Louis Labaye, de Saint-Gérand-le-Puy (Allier), ni le
décompte définitif de l’entreprise. L’édifice était
sans doute achevé en 1897, puisqu’à cette date, A.
Boulay, entrepreneur de chaudronnerie à Paris, pose
conduites, tuyaux et appareils balnéaires.
UN PETIT PALAIS THERMAL DANS LE
« JARDIN
PHARMACEUTIQUE »
Une
réflexion attentive a précédé le choix de l’emplacement
des thermes afin d’harmoniser la construction avec les
bâtiments existants, tout en veillant à sa bonne
accessibilité. La façade du nouvel édifice se
présentera donc « au rayon de
la courbe de raccord qui relie le pavillon de pharmacie
à celui du concierge », soit dans le « jardin
pharmaceutique », attendu qu’il sera « toujours
possible d’atténuer, à l’aide de quelques plantations,
tout effet d’optique pouvant choquer des yeux trop
susceptibles » (Observations du Conseil
d’administration à soumettre à MM. Delafond et Dulac,
1892). De fait, le bâtiment thermal passe presque
inaperçu du visiteur qui pénètre dans l’hôpital par
l’allée principale, tout autant que du promeneur qui
traverse le parc thermal car l’édifice est caché par le
mur d’enceinte derrière lequel seul apparaît le château
d’eau.
Les
thermes présentent un plan en U, c’est-à-dire un corps
central avec deux ailes en retour qui délimitent ainsi
une cour intérieure ; une galerie dans-œuvre,
aujourd’hui fermée par des vitrages, ouvre sur cette
cour par une douzaine d’arcades en plein cintre
réparties sur les trois façades ; une symétrie
rigoureuse anime l’élévation d’ensemble où les baies
créent des rythmes binaires ou ternaires ; les
triangles formés par le fronton central et les deux
pignons latéraux, où des linteaux mitrés aux ouvertures
créent une réplique, suggèrent un élan vertical ;
cet effet est heureusement adouci par la forme
semi-circulaire des arcades.
Dulac,
adepte des principes constructifs de Viollet-le-Duc,
montre une prédilection pour le style néo-gothique,
mais le vocabulaire néo-roman des arcades ou encore
classique du fronton et des colonnes cannelées,
l’oriente vers un éclectisme où le décor est toujours
lié à la structure : crossettes de pignons à
l’extrémité des rampants faits de dalles à crochets,
corniches à modillons, linteaux en arcs brisés ou
mitrés, allèges sous les baies en bossage taillé en
pointe de diamant. L’emploi généralisé de la pierre
pour les parements (moellons smillés), qui n’est pas
sans créer une impression d’austérité contrastant avec
l’appareil mixte et coloré de l’hôpital, participe à la
solennité de l’ensemble.
Les
dispositions intérieures ne sont pas moins soignées et
originales. Le cabinet médical et le secrétariat
occupaient la partie centrale tandis qu’une stricte
séparation des sexes orientait hommes et femmes vers
chacune des ailes ; les sols, les murs et les
plafonds en berceau plein cintre - proscrivant ainsi
tout recoin susceptible de devenir réceptacle à
poussière et microbe - sont entièrement recouverts de
céramique ornée de rosaces colorées ; les
équipements balnéaires consistaient en douches (jet,
pluie ou cercle), bains d’eau chaude ou bains de vapeur,
vestiaires clos « permettant
de préserver de l’humidité les vêtements des
baigneurs ».
Dulac
accordait une grande importance à la qualité des
matériaux : il avait préconisé l’emploi de la
pierre de Villebois (Ain), de Buxy, de Senozan « ou
autre acceptée par l’architecte et le maître
d’ouvrage » ; les tuiles en grès de
Ciry-le-Noble avaient sa faveur ; toutefois, des
tuiles déposées derrière le bâtiment montrent que
celles-ci sortent des ateliers Cancalon à Roanne ;
les céramiques intérieures proviennent des
établissements Paul Charnoz à Paray-le-Monial, bien que
Dulac eût initialement préconisé l’emploi de carreaux
provenant des manufactures de Maubeuge ou des usines
Perrusson à Ecuisses ; toutes les huisseries sont
en chêne ; pour les baignoires, Dulac indiquait
l’emploi du ciment artificiel Vicat associé à
« des enduits polis à glace ou un stuc
faïencé inattaquable » ; selon le service de
l’Inventaire régional, elles seraient revêtues
d’opaline blanche polie, et leurs bordures constituées
de pièces en marbre de Carrare.
Les
installations hydrauliques sont reléguées derrière les
thermes ; elles consistent en un mur de
soutènement taluté et entièrement appareillé en
moellons de pierre, au sommet duquel sont quatre
bassins de refroidissement, recueillant les eaux
chaudes contenues dans un réservoir élevé à la façon
d’une tour de château médiéval en pierre, à une dizaine
de mètres au-dessus du niveau des salles ; un
aqueduc enjambant le passage ménagé derrière les
thermes au moyen d’une double arcade, permet ainsi aux
eaux chaudes et froides, en empruntant des conduites
distinctes, d’alimenter les « bains-douches »
par simple gravité ; l’aqueduc drainant l’eau
depuis la source, souterrain sur une grande partie de
son parcours, demeure bien visible à proximité de
l’établissement thermal et du Grand Hôtel, où il
apparaît sous l’aspect d’un conduit recouvert de dalles
chanfreinées reposant sur une succession d’arcades
construites en gros appareil régulier.
Inutilisés
depuis une vingtaine d’années, les thermes ont été peu
altérés par les inévitables travaux d’entretien et de
réaménagement, à l’exception de la partie postérieure du
bâtiment. Intérieurement, à part l’introduction de
quelques carrelages modernes, le parti d’origine est
respecté. La galerie recueille en outre quelques
chaises à porteur et fauteuils roulants dont aucun ne
semble antérieur au 19e siècle. Agréablement
mis en valeur par l’environnement arboré et fleuri, les
thermes de l’hôpital d’Aligre, accessibles seulement à
l’occasion des Journées du Patrimoine et de visites
guidées ponctuelles, constituent un joyau sans
équivalent du patrimoine thermal bourguignon, et même
exemplaire pour le centre de la France, joyau
qu’il importe de conserver et pour lequel on ne peut
qu’espérer une nouvelle et heureuse affectation à
venir.
Collaboration : F.
GEOFFRAY
Archives
de l’architecte François Dulac : collection
particulière.
Service
Patrimoine et Inventaire-région Bourgogne. Patrimoine
hospitalier en Bourgogne. Somogy éditions d’art, 2011.
[Bourbon-Lancy, architecture : p. 67-77 ;
mobilier : p. 255-256, 276-277, 299, 349-350,
372-373]