LES
« VIEUX-BOURGS » DU
CHAROLAIS-BRIONNAIS
Si le déplacement du chef-lieu communal au 19e siècle n’est pas spécifique
au Charolais-Brionnais, la dénomination de « Vieux-Bourg », qui
s’attache plus particulièrement à quelques communes de cette région, semble
marquer une volonté de perpétuer le souvenir de l’ancien village par rapport au
nouveau centre religieux et administratif, même quand église, cimetière,
presbytère ou « maison commune » se sont effacés.
LA QUESTION DE LA CENTRALITÉ
Chronologiquement, les projets de « bourgs-neufs » en
Charolais-Brionnais, qui s’espacent de 1845 à 1865, sont réalisés
principalement sous le Second-Empire. Si l’administration préfectorale du
régime n’a pas spécialement incité ce type d’aménagement du territoire, il n’en
est pas moins vrai que l’époque est à la modernisation des campagnes, marquées
par un essor démographique et stimulées par les progrès économiques :
vague de reconstructions d’églises et de presbytères impulsée par la
réorganisation du service des Édifices diocésains, constructions d’écoles
encouragées par les lois scolaires de 1850 et 1867. C’est aussi, pour le
Charolais, l’époque de la spécialisation vers l’élevage : le
désenclavement, grâce à l’amélioration des routes et la pénétration du chemin
de fer, favorise en effet l’exportation de la viande vers les grands centres
urbains. Dans la région, où le métayage est encore largement la règle, la terre
reste très souvent entre les mains de grands propriétaires fonciers, volontiers
influents sur la politique locale. Si l’emplacement de l’église est au cœur du débat pour la création du
nouveau bourg, se pose en même temps la question de la centralité, qui ne se
présente pas partout avec la même acuité ; c’est une évidence pour
Chassigny-sous-Dun, Baudemont, Dyo, Saint-Symphorien-des-Bois, où le chef-lieu
historique occupe une position excentrée par rapport au territoire communal. La centralité n’est
d’ailleurs pas toujours le critère décisif, ainsi que le souligne le
sous-préfet à La
Chapelle-sous-Dun : « Je me suis assuré, par mes
propres yeux, que l’église ne saurait être maintenue sur le point culminant
qu’elle occupe aujourd’hui, […] presque inaccessible pour les vieillards et les
enfants. » (lettre au préfet, 31.01.1847). Par ailleurs la centralité
territoriale ne correspond pas nécessairement à la répartition de la
population : à Changy, si l’église est bien centrale sous le premier
rapport, elle n’en est pas moins mal placée pour une population davantage
agglomérée vers le sud, ce qui a déjà fait préférer Tourny pour établir la
mairie-école dès 1852. 
Changy
À Saint-Marcelin-de-Cray, la centralité
géographique se définit surtout par rapport à Cray,
commune distincte jusqu’en 1861, quoique réunie à
Saint-Marcelin pour le culte depuis 1806, situation à
laquelle une partie des paroissiens de Cray souhaiterait
mettre un terme. À Saint-Martin-de-Salencey, un décret
du 9 juillet 1898 transfère définitivement le chef-lieu
aux Places, malgré l’opposition du vieux bourg, où une
mairie-école avait été construite en 1852, mais encore
celle des Georges, des Valliers et de La
Marjolaine qui ne sont pourtant pas les
hameaux les plus éloignés. Mais c’est à Dyo, qui cumule
la dispersion extrême des hameaux et l’excentrement de
l’église, que la recherche d’un centre semble la plus
ardue, comme le sous-préfet le résume avec cette
formule : « Il s’agirait de construire une
église portative si l’on voulait desservir tous les
îlots séparés. » (lettre au préfet,
11.06.1867)
La réalité, qui n’est guère exprimée,
tant la question de l’église focalise toutes les
attentions, consiste à voir que les vieux bourgs ne sont
plus à la portée des voies de communication qui attirent
naturellement l’activité (commerce, artisanat). L’examen
d’une carte suffit à observer que tous les nouveaux
bourgs, à l’exception de Dyo, se sont en fait rapprochés
des routes principales.
Pour certaines communes, la proximité des
centres d’activité économique est évidente : le
nouveau bourg de Baudemont est aux portes de
La
Clayette, situation concrétisée
aujourd’hui par l’importance de ses lotissements ;
celui de La
Chapelle a été attiré par le site
d’extraction du charbon, qui a donné son nom au quartier
de La
Mine.
Le débat autour de l’église du village
commence par le constat, parfois affligeant, du lieu de
culte existant ; dès 1826, à Chassigny, on relève
son insuffisance par rapport à la population, d’autant
que s’y ajoutent des paroissiens de La Chapelle plus
proches de cette église ; dans cette dernière
paroisse, l’église ne s’est jamais complètement relevée
depuis qu’elle a été foudroyée en 1762. À Dyo et à
Saint-Symphorien, les églises ont été vendues comme bien
national ; la première a été dépouillée de son
toit ; la seconde, rachetée par le maire de la
commune en 1818, nécessitait des travaux chiffrés à
8 400 F.
L’un des obstacles à la conservation du
site primitif réside parfois dans le fait que la commune
n’a plus de presbytère, vendu comme bien national. À
La
Chapelle-sous-Dun, l’évêque indique que
« le desservant doit se loger dans une autre
paroisse » (lettre au préfet, 2.12.1846). De toute
façon, le corollaire du déplacement de l’église sera la
nécessaire reconstruction, simultanée ou non, de la cure
au nouveau chef-lieu ; à ce sujet, le cas de
Chassigny est intéressant : on propose au vieux
curé, qui avait défendu le projet d’agrandissement de
l’ancienne église, de lui concéder la jouissance de sa
cure sa vie durant, de maintenir le chœur du lieu de
culte ancestral pour y célébrer sa messe quotidienne, et
de le conduire en voiture à la nouvelle église pour les
autres célébrations ; cependant, dès 1852, alors
que la nouvelle église reste inachevée, un curé
fraîchement nommé prend l’initiative, avec la fabrique,
de faire bâtir le presbytère au nouveau bourg.
L’autre point susceptible de créer une
vive émotion est la translation du cimetière. Sous
l’influence des théories hygiénistes, la loi du
12 juin 1804 qui place « le champ des
Morts » sous l’autorité municipale, interdit toute
inhumation à l’intérieur des églises et dans l’enceinte
des villes ou des bourgs ; l’ordonnance royale du
6 décembre 1843 fait entrer l’interdiction dans les
faits, et généralise l’implantation des cimetières clos
de murs à distance des habitations et des édifices
publics, l’école notamment. Afin d’atténuer les tensions
qui auraient pu naître d’une translation immédiate et
brutale, les communes feront souvent coexister l’ancien
cimetière autour de la vieille église, et le nouveau
proche du bourg neuf. Un vieux cimetière s’est maintenu
sur le site primitif à Changy, Dyo, La
Chapelle-sous-Dun,
Saint-Marcelin-de-Cray et Saint-Martin-de-Salencey.

Dyo : le "Vieux-Bourg" au premier
plan et la nouvelle église à droite en
arrière-plan
Manifestement, ce fut un dilemme pour
l’époque : fallait-il entretenir et agrandir le
lieu de culte ancestral ou devait-on bâtir une église
neuve aux proportions en rapport avec la
population ? Avant d’en voir les enjeux locaux, il
faut rappeler que le débat s’inscrit dans une tentative
de re-christianisation du pays, et que celle-ci
s’affirme notamment par la reconstruction des
églises.
Soulignons seulement quelques points
essentiels : la loi du 18 juillet 1837
fait de l’entretien de l’église une dépense obligatoire
des communes ; pour contrôler l’incurie ou la
prodigalité des municipalités, la Seconde République met
en place le Service des Édifices diocésains dépendant de
la Direction des cultes, elle-même dotée d’un budget
sous la tutelle du ministère de l’Intérieur ; les
préfets sont chargés de transmettre les projets par
ordre d’urgence, après avis de l’évêque. Le Second
Empire complète le dispositif par la création d’un corps
d’inspecteurs généraux ; afin de rationnaliser les
coûts, Eugène Viollet-le-Duc, lui-même inspecteur de
1853 à 1874, établit une grille mettant en rapport la
population de la commune et le montant de la subvention
accordée. Enfin, la rationalisation des espaces répond
parfaitement à l’uniformisation du rituel liturgique
romain pour le culte catholique en
France.
André Berthier fut architecte diocésain
en Saône-et-Loire de 1850 à 1852, puis de 1855 à 1857,
cumulant cette fonction avec celle d’architecte
départemental ; il n’est donc pas surprenant de
rencontrer ici cinq projets de sa main. Les autres
émanent de Jean-Étienne Giroud, son successeur au
département, et d’André Della-Jogna, architecte de
l’arrondissement de Charolles (voir
tableau).
Mais la vague de destructions consécutive
à la frénésie bâtisseuse inquiétait les archéologues et
la Commission des Monuments historiques. Aussi, une
circulaire de 1853 attira l’attention des préfets sur la
conservation de l’église ancienne : « Il faut
étudier les moyens de l’agrandir, en préserver les
parties essentielles et ne la sacrifier qu’en cas de
nécessité absolue. » La même circulaire
recommandait d’accompagner chaque rapport d’un relevé de
l’édifice existant ; seules les églises de
Baudemont et de Saint-Martin semblent avoir bénéficié de
cette précaution. Quelles que soient les décisions
prises, certains paroissiens témoigneront de leur
attachement à la vieille église, d’autant mieux qu’elle
continuait d’être entourée d’un cimetière ; en
1866, ceux de Baudemont demandent à la conserver comme
chapelle et s’engagent à l’entretenir ; à
Saint-Martin, la nef de l’ancienne église est démolie
dès 1880 ; abside et chœur sont finalement détruits
en 1904 suite au rapport alarmiste de l’architecte
Jourdier.
|
ancienne
église
vieux
cimetière |
nouveau
chef-lieu
(cadastre) |
emplacement de
l’église
|
nouvelle
église
architecte |
nouvelle
mairie-école
architecte |
Baudemont |
détruite |
Mérange |
donation |
1866 ; Berthier
|
mairie-école 1865 ;
Berthier |
Changy |
Monument Historique 1974 - vieux
cimetière conservé |
Tourny |
échange de
terrains |
1870 ; Giroud
|
1e mairie-école 1850 Vadot
2e mairie-école 1909
Jourdier |
Chassigny-sous-Dun |
conservée en partie
- restaurée 1991-2001
|
Le Villard |
don et
acquisition |
1855 ;
Berthier |
mairie-école 1866
Della-Jogna |
Dyo |
détruite
vieux cimetière
conservé |
Le Charne |
échange de
terrains |
1866-1870 ;
Giroud |
1° mairie-école 1865
(Vieux
Bourg)
2° mairie-école 1926
Jourdier |
La
Chapelle-sous-Dun |
conservée en
partie
vieux cimetière
conservé |
La Mine |
terrain
communal |
1850 ; agr. 1865
Berthier |
1° mairie-école
1860
2° mairie-école 1884
Rotival |
Saint-Marcelin-de-Cray |
détruite
église de Cray : M.H. 1931,
avec cimetière |
Les
Taupières |
acquisition |
1860 ;
Berthier
clocher 1873 ;
Pinchard |
mairie-école 1867
Della-Jogna |
Saint-Martin-de-Salencey |
détruite
|
Les Places |
donation |
1875 ;
Della-Jogna |
mairie-école 1903
Jourdier ;
Carnevillier |
Saint-Symphorien-des-Bois |
détruite |
Montalon |
? |
1856 ;
Berthier |
mairie-école 1867
Della-Jogna
agr. 1912 ;
Jourdier |
Lien
vers les textes suivants
:
La Chapelle-sous-Dun :
Chassigny-sous-Dun
Dyo
Saint-Marcelin-de-Cray
LE DOIGT DE DIEU OU LE BRAS DU
POLITIQUE ?
La construction d’une nouvelle église au
19e siècle, le plus souvent dans le style
néo-gothique, semblait apte à répondre à bien des
aspirations : celle d’un clergé qui, soucieux de
re-christianisation, cherchait à revenir à l’art
médiéval, considéré comme âge d’or du
christianisme ; celle d’un corps d’architectes
ambitieux, influencés par Viollet-le-Duc, en rupture
avec l’enseignement classique des Beaux-arts, qui
croyaient que l’architecture médiévale pouvait être le
levain de l’architecture contemporaine ; celle
enfin d’une administration des Cultes soucieuse de
rationaliser les dépenses.
On affirme généralement que le clergé fut
le principal protagoniste des reconstructions d’églises.
Cela n’apparaît pas évident à la lecture des archives
consultées pour cet article ; sans doute
faudrait-il explorer les délibérations du conseil de
fabrique quand elles sont conservées pour y découvrir
les aspirations des paroissiens. L’impression générale
est plutôt celle d’une détermination des municipalités
à créer un nouveau chef-lieu, peut-être sous la pression
d’une administration préfectorale encline à renforcer le
pouvoir municipal face à l’Église, tout en le
contrôlant.
Quoiqu’il en soit, dans nos huit
villages, la modernité l’emporte sur la tradition, les
nouveaux édifices sur les lieux cultuels
immémoriaux,
parce que cela semble correspondre, sinon à la
volonté, du moins à l’adhésion du plus grand nombre. On
pourrait aussi se demander, avec l’historien Philippe
Boutry, si l’église du Second Empire, par ses ruptures
de lieu et de style, n’a pas contribué à éloigner
certains paroissiens, surtout dans les régions à forte
tradition catholique, comme c’est le cas en Charolais,
où une fraction de fidèles était déjà entrée en
dissidence après le Concordat de 1801 (Petite
Église).
Les architectes du 19e siècle qui
croyaient créer, dans la foulée des théories
rationalistes de Viollet-le-Duc, les conditions d’une
architecture moderne et nationale fondée sur l’art
médiéval, n’ont abouti le plus souvent qu’à une
production stéréotypée peu convaincante. Les recherches
de Berthier et surtout de Della-Jogna, à travers les
modèles néo-romans ou romano-byzantins, n’ont que plus
d’éclat : l’église de Saint-Martin-de-Salencey
apparaît comme un bel exemple de réelle créativité sur
fond historiciste.

Saint-Martin-de-Salencey
Selon l’historien Jean-Michel Leniaud, la
seule véritable concession au symbolisme chrétien de
l’église du 19e siècle fut la flèche, omniprésente
quelque soit le style : doigt de Dieu, trait
d’union lancé entre la terre et le ciel, chacune de nos
huit églises en fut effectivement dotée. On a vu à Dyo
combien il importe que l’église demeure visible ;
c’est que la paroisse reste, pour la plupart des
habitants, l’espace de référence. D’une certaine façon,
l’église doit être également audible, car la cloche, qui
scande le temps et sanctifie le territoire, doit être
entendue en tous points. Chaque communauté vit au rythme
propre de son clocher qui n’est pas tout à fait celui
du village voisin. Au moins jusqu’à l’avènement de
l’horloge républicaine de la mairie censée donner
l’heure universelle…
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE
SAÔNE-ET-LOIRE
Inventaire du patrimoine :
série 5 Fi (accessible sur le site internet des
Archives)
Dossiers communaux :
série O (classement par
communes)
BOUTRY Philippe, La
modernisation du paysage paroissial, in Histoire de la
France religieuse, Éditions du Seuil, 1991,
tome 3, p. 275-280.
DAUBARD Christian,
Chassigny-sous-Dun ou l’histoire d’un bourg à l’autre,
Mémoire brionnaise, n° 10, p. 5-9 ;
n° 12 p. 48 à 53.
LENIAUD Jean-Michel, Les églises
paroissiales, in Les cathédrales au XIXe siècle,
Economica, 1993, chapitre 4,
p. 459-491.
MELONIO Françoise, Vers une
culture démocratique, in Histoire culturelle de la
France, Éditions du Seuil, 1998, tome 3,
chapitre 6, p. 292-316.
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