PETITE HISTOIRE DU « CD 1 »
XIXe XXe siècles. Du chemin à la route puis à la voirie urbaine.
La
route départementale n° 1 entre Montcenis et Le Breuil correspond à la
voirie urbaine suivante sur le territoire du Creusot : rues du Maréchal
Joffre, Président-Wilson, Marceau, Guynemer, Maréchal-Foch ; son tracé
rectiligne (5 km entre Les Groisons et La Montée Noire) est un héritage du XVIIIe siècle (cf. infra) ;
le principal apport du XXe siècle consiste dans la rectification de la
section comprise entre le carrefour de la rue de l’Étang de la Forge et celui de la rue de Chanzy, réalisée entre 1946 et 1948 : suppression de trois passages à niveau sur les voies SNCF et Schneider, et reconstruction de la chaussée sur un remblai contenu par un mur de soutènement en béton.
La
numération de la route départementale n° 1 de Montcenis à Nolay est un
héritage du XIXe siècle ; elle reprend celle du classement de 1880 : Chemin de Grande Communication n° 1 de Mont-Saint-Vincent à Nolay*. Ce C.G.C. succède lui-même à la Route
départementale n° 5 de Saint-Loup-de-la-Salle à
Saint-Léger-sous-Beuvray par Saint-Léger-sur-Dheune et Les Forges de
Perreuil (classement de 1855) ** ; auparavant elle était nommée route
départementale n° 5 de Chagny à Montcenis par Couches (classement de
1813).
* Une ancienne borne de cette voie subsiste sur le trottoir de la rue Maréchal-Joffre au niveau du n° 92.
**
La route des Forges de Perreuil au Creusot a été construite entre 1845
et 1850 ; Eugène Schneider en avait fait activer la construction pour
relier Le Creusot à son usine de produits réfractaires de Perreuil.
XVIIIe siècle. La route de Montcenis à Couches.
En
1768, quand l’ingénieur des Mines Antoine-Gabriel Jars (1732-1769) est
envoyé à Montcenis par le ministre Bertin, pour « expertiser » le charbon du
Creusot dont le subdélégué du bailliage de Montcenis, François
Delachaise, obtiendra la concession d’exploitation l’année suivante, il
préconise de faire ouvrir une bonne route vers la Saône
afin d’offrir des débouchés. F. Delachaise obtient satisfaction auprès
des États de Bourgogne le 30 décembre 1769, sur intervention de
l’intendant Amelot (préfet de l’époque) et du ministre Bertin. L’idée
est de rejoindre à Couches le grand chemin d’Autun à Chalon en cours de
construction, pour atteindre la Saône, et expédier le charbon par voie d’eau, aux arsenaux d’Auxonne entre autres. Émiland Gauthey, sous-ingénieur
des États de Bourgogne, en détermine le tracé en 1770. Les communautés
de Torcy, Le Breuil, Saint-Pierre-de-Varennes et Saint-Firmin, paroisses
traversées par la route, y travailleront par corvée les années
suivantes.*
Une dizaine d’années plus tard, la route de Montcenis à Couches est utilisée pour acheminer vers Le Creusot le minerai de fer de Chalencey nécessaire à la Fonderie royale. Dès 1769, il avait été prévu de raccorder cette route à la Charbonnière
du Creusot (Les Riaux), mais l’opposition des propriétaires riverains
en avait différé l’exécution qui devra attendre 1778-1780 ; ce
raccordement correspond à l’actuelle rue Maréchal Foch.
Dès 1771, la nouvelle route de Montcenis à Couches figure sur la Carte itinéraire du duché de Bourgogne, par l’ingénieur-géographe Joseph-Dominique Seguin, auteur de la carte de Cassini pour la province. En 1784, le Tableau des chemins faits et à faire en Bourgogne, inscrit le chemin de Montcenis à Couches sous le n° 43. En 1789, la Carte des ingénieurs, figurant l’état réel du réseau, montre cette route empierrée, sauf entre la Croix Menée et Montcenis où elle est revêtue de sable et gravier.
Conclusion. Entre
la route n° 35 de Chalon à Autun, devenue route Postale Paris-Lyon en
1775, et la route n° 33 de Chalon à Digoin, seul axe économique de la
région, reconstruit dans les années 1770, la route n° 43 de Montcenis à Couches n’a qu’un rôle de liaison et de desserte locale.
* Au
moment de la formation de la commune du Creusot en 1790, qui prend une
partie du territoire de la paroisse de Torcy, une de ses limites
s’appuie sur une section du chemin de Montcenis à Couches, entre les
actuelles rue Édith Cavell et Victor Hugo. Cette limite disparaîtra avec
l’extension du Creusot en 1862.

Extrait du plan-terrier de la seigneurie de Torcy, 1750. Académie François Bourdon.
En haut, le plan montre le chemin de Montcenis à Couches ; on y voit de gauche à droite :
1. Le hameau de La Villedieu, avec sa chapelle ;
2. le tracé de la route correspondant à l’actuelle rue de la Fontaine ;
3. le passage sur la chaussée de l’étang de la Bize, près de l’ancienne halte SNCF Villedieu-Chanliau.

Extrait du plan cadastral du Creusot, 1835.
XVIIe siècle. Le chemin des Messagers du Charolais.
Le
XVIIe siècle est le « siècle noir » des routes ; aussi, en 1766, les
habitants de Montcenis, par la voix de leur maire, sollicitent des États
de Bourgogne la reconstruction d’un grand chemin de Toulon-sur-Arroux à
Chagny et Beaune par Montcenis et Cheilly pour désenclaver le pays. Cet
itinéraire existait déjà car il figure en 1709 sur la Carte du Duché de Bourgogne et des Comtez en dépendans de Guillaume Delisle. Il correspond alors à l’itinéraire postal des « Messageries du Charolais »* qui
acheminent le courrier entre Charolles et Dijon, l’un par
Mont-Saint-Vincent, l’autre par Toulon et Montcenis, les deux se
rejoignant à Santenay ; il est certain que le second empruntait le grand
chemin de Couches à Montcenis. Ce service fonctionnera de 1665 à 1766 environ.
* La Ferme générale des Postes créée par Louvois en 1672 autorisait des services locaux en sous-fermage.

Extrait de la carte de Cassini-Seguin, 1763.

Extrait de la carte de Guillaume Delisle, 1709.
XIIIe-XVIe siècles. Un itinéraire hérité de la Bourgogne ducale.
Tous
les terriers* du XVe au XVIIe siècle de la région mentionnent ce chemin
sous différentes dénominations. Dans les terriers de Montcenis (1511 et
1610), la désignation qui revient le plus souvent est celle de « Grand chemin de Couches à Toulon ». Prolongé vers le nord et vers l’ouest, il met en évidence un itinéraire qui relie Dijon à la Loire, convergeant ainsi vers le fleuve avec le grand chemin de portage** de Chalon à Digoin.
L’itinéraire Chalon-Digoin est le grand axe économique de la région : les vins du Chalonnais et du sud de la Côte de Beaune, les bois de marine des forêts de la plaine de Saône y croisent les sels remontant de l’Atlantique vers la Loire. Ce trafic est amplifié par la mise en service du canal de Briare en 1642, qui ouvre la voie vers le marché parisien.
L’itinéraire Dijon-Digoin a un rôle économique limité avant le XVIIIe siècle. Il faudrait plutôt y voir un itinéraire d’origine politique, qui pourrait trouver sa signification initiale au XIIIe siècle : contrôle des routes vers la Loire,
avec la baronnie de Couches et la châtellenie de Montcenis, maintien
des frontières ducales face aux tentatives d’empiètements du comté de
Nevers.
Il
est significatif aussi que les ducs de Bourgogne aient conclu des
pariages avec des ordres religieux pour assurer des relais hospitaliers
et mettre de nouveaux domaines en valeur : c’est ainsi qu’il faut
interpréter l’implantation au XIIIe siècle des établissements de La Villedieu et de Saint-Nizier (près des Bizots) dépendant l’un et l’autre de la commanderie des Hospitaliers de Beaune.
*
Un terrier est un document contractuel qui définit les droits et
redevances entre seigneurs et paysans à qui des terres sont concédées.
Ancêtre du cadastre, les parcelles y sont définies par leurs confins :
c’est à ce titre qu’il est fait mention des chemins.
** Un chemin de portage est une voie terrestre qui met en communication deux voies d’eau. La Coudraye
marquait initialement la jonction entre le chemin de Dijon à Digoin et
celui de Chalon à Digoin ; après 1770, la jonction se situe à La Gaité (près du lac de la Sorme), suite au tracé de l’actuelle D 980.

Extrait du terrier de la baronnie de Montcenis, 1610, Archives départementales de Côte-d’Or, B 1263.
Avant le XIIIe siècle. Incertitudes.
Avant
le XIIIe siècle, les mentions d’itinéraires se font plus rares. Au
Xe siècle, la constitution d’un puissant comté du Chalonnais (avec le
Charolais) laisse le pays de Montcenis en marge du duché, dont les
limites s’appuient sur la Dheune
et le Mesvrin. Il faut attendre les XIIe et XIIIe siècles pour voir les
ducs de Bourgogne prendre fermement pied dans notre région. Plusieurs
chemins sont signalés dès le XIIe siècle dans la région de Charmoy
(chartes de La Ferté, de Cluny, de Perrecy), mais pas explicitement un chemin de Montcenis à Couches.
Sans
véritable preuve, on peut supposer que l’itinéraire de Dijon à
Montcenis pouvait s’établir sur les plateaux par Brandon,
Saint-Gervais-sur-Couches, La Rochepot et Saint-Romain.
Quant à la présence
d’une voie antique antérieure, on peut en douter : les principaux
itinéraires gallo-romains de la région relient généralement la Saône
à Autun à partir de Chalon, Tournus et Mâcon. Tout au plus pour notre
territoire, certains indices archéologiques laissent présumer
l’existence d’une voie antique secondaire d’Autun à Saint-Gengoux par
Marmagne et Torcy ; si tel était le cas, elle serait passée par La Villedieu ; en coupant plus tard le chemin de Montcenis à Couches, elle serait ainsi à l’origine du carrefour des Quatre Chemins.*
* Le chemin de Couches à Montcenis correspondant avant le XVIIIe s. à la rue de la Fontaine, les Quatre Chemins se trouvaient donc au carrefour de cette rue avec le chemin de Torcy (actuelle rue Albert 1er).
Alain DESSERTENNE
Février 2016
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE CÔTE-D’OR. Série C, Ponts & chaussées : ingénieurs et cartes de la province.
ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE SAÔNE-ET-LOIRE. Série 2S, travaux publics.
BOUILLON Michel, Le Creusot, Regards sur le passé. La reconstruction 1945-1954, Nouvelles Éditions du Creusot, 2008.
DESSERTENNE A. Le Réseau routier dans le sud de l’Autunois à la fin du 18e siècle. La Physiophile, n° 144, 2006, p. 47-62.
DESSERTENNE A. Chemins oubliés en pays bourguignon, Éditions de l’Escargot Savant, 2012.
DESSERTENNE A. GEOFFRAY F. La carte de Cassini en Saône-et-Loire, Cercle généalogique de S & L, 2010.
LAGROST L. Du château ducal de Montcenis à la « seigneurie » du Creusot, Centre de Castellologie de Bourgogne, 2009.
NOUGARET
Pierre, Histoire de la poste en Bourgogne des origines à 1789, Mémoires
de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, 1960.
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