ROME-CHÂTEAU  

 

ROME-CHÂTEAU

 

Symphonie pastorale pour une citadelle de roche

 

 

Vue des Maranges ou de la retombée du plateau d’Antully, la colline de Rome-Château, avec sa crinière de rochers, présente un maintien de sphinx : le discret ensellement qui incurve son échine n’en fait que mieux ressortir la croupe, nommée mont Antôme, qui masque le soleil du soir au village de Créot étendu à ses pieds ; des hauteurs de Couches ou de la vallée de la Dheune, le « mont Rome », comme on l’appelle simplement ici, impose sa silhouette de citadelle dominant le village de Saint-Sernin, si joliment posé sur son « plain » ; malgré son altitude modeste, 545 mètres, c’est un relief remarquable et emblématique du Couchois et du Nolaytois.

 

POURQUOI « ROME » ?

 

Il peut paraître inapproprié de dissocier Rome-Château de son jumeau, le mont de Rème, collines que la géologie et la toponymie unissent à l’évidence : buttes-témoins isolées de leur plateau tutélaire qui appartient à la « Montagne » bourguignonne - nommée ici Chaumes d’Auvenay - et constituées d’une table de calcaires bajociens à entroques qui se débitent en laves, auréolée d’argiles ou de marnes liasiques sur leurs pentes.

 

En géologie, le plus spectaculaire n’est pas toujours le plus visible, surtout quand il s’agit de phénomènes karstiques : en 1989, les spéléologues creusotins, sous la conduite de Jean Morel, ont redécouvert une cavité souterraine oubliée depuis un siècle ; connue grâce aux exploitations de minerai de fer à Mazenay (1845-1914), c’est par les galeries de la mine qu’elle fut primitivement atteinte ; située en partie sous Rome-Château, elle constitue le plus long réseau karstique de Saône-et-Loire (près de 9 km).

 

Revenons à Rème et Rome. Sans que l’on en puisse fournir la preuve, les deux mots semblent bien être des réminiscences de Rémus et Romulus, héros légendaires liés à la fondation de Rome, auxquelles répond, par un non moins mystérieux écho, sur l’autre côté de la Cozanne, la butte pelée du mont Julliard. D’où viennent ces références antiques ? Qui les a créées ? Tout au plus pouvons-nous constater qu’en 1293, il n’est question que d’une « terre de chateaul » dans une charte du prieuré de Saint-Symphorien-lès-Autun (n° 98), alors qu’une transaction de 1335 fait expressément état du lieu-dit « En Rome chateaul » [Archives départementales de S & L, abbaye Saint-Andoche d’Autun, H 1082]. Cette dénomination demeurera quasiment inchangée par la suite ; ainsi, dans la célèbre enquête de l’intendant Bouchu, en 1666, il est bien question de « Romme chasteau ».

 

POURQUOI « CHÂTEAU » ?

 

 

L’aspect ruiniforme des falaises et rochers qui couronnent le rebord méridional de Rome-Château, justifierait à lui seul l’évocation d’une forteresse. L’archéologue autunois Bulliot (1817-1902) prétendait lui assigner un rôle éminent dans le « système défensif des Romains » en pays éduen, avec des arguments à vrai dire peu convaincants pour l’archéologie moderne. Il n’en demeure pas moins qu’à plusieurs reprises, le sol du mont a révélé des traces de passé antique. L’Annuaire de Saône-et-Loire (1839), indique que lorsqu’on a établi le télégraphe, « on trouva une grande quantité de pièces d’argent et de monnaies anciennes » et rappelle, après Courtépée au 18e siècle, que « plus anciennement on y avait découvert un tombeau avec inscription, une cave voûtée et divers débris de construction. ». À l’occasion de travaux plus récents, des monnaies antiques ont été ramenées, datant du 1er siècle pour les plus anciennes. Des débris de tegulae et des entailles dans la pierre laissent supposer que les rochers ont pu servir de supports à des abris ou à des constructions plus ou moins précaires.

 

En revanche, les prospections du Centre de Castellologie de Bourgogne conduisent à considérer en toute humilité que, jusqu’à preuve du contraire, aucun site fortifié médiéval ne peut être déterminé sur Rome-Château. À défaut, la légende de la Vivre, à Couches, s’est emparée du site dans sa version de 1888 : le terrible dragon y aurait échoué dans la nuit des temps avec l’Arche de Noé…

 

UN SITE GÉOGRAPHIQUE REMARQUABLE

 

L’enquête Cassini (1757) signale qu’au sommet de Rome-Château, « on a planté nouvellement une croix à côté de deux petits arbrisseaux. » Rome-Château a ensuite servi de point d’ancrage pour la ligne télégraphique Paris-Lyon-Milan. On sait avec quels atermoiements, dans la confusion révolutionnaire, les frères Chappe parvinrent à faire triompher leur invention ; enfin, en 1807, le relais n° 33 établi à Rome-Château est en service : les bras articulés du dispositif monté sur la terrasse d’une tour quadrangulaire reçoivent les signaux de la station du mont Panterre, sur les Chaumes d’Auvenay, et les transmettent à celle de Villeneuve-en-Montagne, en fait édifiée sur le bois communal de Jambles, par la suite déplacée sur Châtel-Moron. Le système a fonctionné jusqu’en 1853, mais n’a laissé aucun vestige sur Rome-Château.

 

Moins d’un siècle plus tard (1934), le Service géographique de l’Armée plante à Rome-Château un signal géodésique pour la réactualisation de la célèbre carte dite d’État-Major qui deviendra la carte de l’I.G.N. : un pylône quadrangulaire constitué d’une simple charpente est élevé à 6,20 m au-dessus du sol. Aujourd’hui, des installations radioélectriques pour la télédiffusion et les télécommunications enlaidissent le sommet. Par ailleurs, une ligne électrique à haute-tension balafre le flanc occidental.

 

PAYSAGES, NATURE, SPORT ET CULTURE

 

 Rome-Château vu depuis Saint-Maurice-les-Couches

 

Rome-Château est protégé comme espace naturel remarquable (Zone d’Intérêt Écologique Floristique et Faunistique), au titre des sites de pelouses calcaires, dans un ensemble qui englobe 1700 hectares environ des plateaux de la Côte et l’Arrière-Côte ; une table de lecture du paysage y est installée. Si la pelouse sommitale fut sans doute de tout temps vouée à l’activité pastorale, les versants restèrent longtemps découpés en parcelles étroites cultivées : lanières longitudinales dans le sens de la pente à la base, disposées en auréoles suivant les lignes de niveau à mesure que l’on monte. Naguère majoritairement en vigne, aujourd’hui en prés, le parcellaire s’est dilaté ; le flanc sud-ouest est envahi par la friche qui dessine par ailleurs une couronne presque continue sous la retombée du plateau.

 

On accède au sommet par une route, mais il est préférable d’emprunter les deux chemins qui l’atteignent : l’un, à partir de Mazenay, large et caillouteux, qui s’offre au soleil du soir et vient décrire un lacet au niveau de la fontaine des Dames (qui sont-elles : des fées ? les abbesses de Saint-Andoche ?) ; l’autre, du côté du levant, réduit à l’état de sentier assez raide à partir de la Croix du Bouchet. Par ailleurs, falaises et rochers offrent aux varappeurs une centaine de voies d’escalade dont la hauteur ne dépasse pas une vingtaine de mètres, mais forment un labyrinthe fascinant de parois.

 

Le panorama depuis Rome-Château couvre une grande partie de la Bourgogne du sud, ou plus exactement chacun des types de paysages chers à Gaston Roupnel, qui voyait dans ces collines de Rème et Rome, au débouché des plateaux, « la porte ensoleillée des routes bourguignonnes » vers la plaine. 1° La Bourgogne du bas-pays qui ouvre, sur la plaine dijonnaise et la Bresse,  la « trouée » de Chagny, où se croisent les chemins immémoriaux reliant la Saône à la Loire et à la Seine ; par temps clair, au-delà du « golfe » bressan sur lequel flotte des silos semblables à des paquebots, Jura et Mont-Blanc sont visibles, de même que Dole et le massif de la Serre vers le nord-est. 2° La Bourgogne des plateaux : tables calcaires du Seuil de Bourgogne (Auvenay, Auxois) et horsts cristallins (Antully, Uchon, Morvan). 3° La Bourgogne des Côtes viticoles, c'est-à-dire ici, la limite méridionale des Côtes de Beaune (Santenay, Maranges), les sillons prometteurs des Hautes-Côtes (Nolay, val de Cozanne), enfin les cuestas aristocratiques de la Côte chalonnaise (Bouzeron, Mercurey). 4° La Bourgogne des collines, houle de reliefs intercalés entre le horst granitique du mont Saint-Vincent et le Morvan, composant le pays autour de Montcenis et le nord du Charolais, au cœur desquels s’étale la grande nébuleuse du bassin de Montceau-Le Creusot.

 

Autour de Rome-Château : les villages du Couchois, du Nolaytois et de la vallée de la Dheune formant une farandole animée de toits bruns ; à ses pieds, l’extraordinaire damier de champs, dont les nuances varient au fil des saisons, des travaux et des heures, et sur lequel veille le clocher gothique de Saint-Sernin-du-Plain ; paysage d’autant plus admirable qu’il crée une sorte de costume baroque pour ce pays plus habitué aux grands à-plats du vert des prairies et des rangs de ceps interminables…

 

Depuis 1990, Rome-Château est aussi le cadre d’un évènement culturel majeur du pays, le festival des Nuits du Mont Rome. Construit de ses propres mains par le compositeur Patrice Sciortino, l’amphithéâtre David peut accueillir quelques centaines de spectateurs qui se donnent rendez-vous fin juillet, avant la tombée de la nuit, pour un programme musical éclectique dont la réputation s’élargit d’année en année. Là, s’accomplit chaque été une sorte de prodige qui parvient à faire oublier les intempérances climatiques. Servie par l’acoustique exceptionnelle qu’offrent les rochers qui surplombent le théâtre, face à l’incomparable fond de scène d’un paysage somptueux, voici que monte la musique : les plus blasés auront sans doute bien du mal à résister à l’envoûtement d’une telle soirée estivale, qui tient autant à l’offrande musicale qu’à l’évanescence du paysage, gagné peu à peu par une pénombre qui en estompe les contours, nuit et musique cheminant de concert vers leur irrésistible rencontre…

 

 

Bibliographie

 

BULLIOT, Jacques-Gabriel, Essai sur le système défensif des Romains dans le pays éduen, Société Éduenne d’Autun, 1856.

RIGAULT, Jean, Dictionnaire topographique du département de Saône-et-Loire, C.T.H.S. 2008.

ROUPNEL, Gaston, La Bourgogne, Éditions des Horizons de France, 1936.

CHARBON Paul, et al., Itinéraire de la ligne Paris-Milan 1807, Fédération Nationale des Associations de personnel de La Poste et de France Télécom pour la Recherche Historique, 2006.

 

Il faut souligner le travail remarquable accompli depuis de nombreuses années par la Société d’Histoire de Saint-Sernin-du-Plain - notamment les recherches de M Yves Touveron et M. Raymond Noulens - qui publie régulièrement les résultats de leurs travaux dans les Cahiers de l’association. Parmi les articles auxquels on a eu recours ici : BOUDIAU, René, La tour du Service géographique de l’Armée au mont de Rome-Château, Cahiers de la S.H.S.S. p. 7-18 -CHARBON, Paul, La station du télégraphe Chappe du mont de Rome Château, Cahiers de la S.H.S.S. 2007-2008, p. 31-42.

NOULENS, Raymond, La redécouverte des galeries et grottes de Mazenay, Cahiers de la S.H.S.S. 2003, p. 7-9.

 

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